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LETTRE D’UN QUAKER.
Ami Jean-George,

Je tombe sur un plaisant endroit de ta pastorale : (pages 258 et 259) tu prétends que la philosophie peut aussi exciter des guerres civiles. Va, tu lui fais trop d’honneur ; tu sais à qui ce privilége a été réservé. Tu allègues en preuve que le comte de Shaftesbury, l’un des héros du parti philosophiste, et l’ami de Locke, entra dans des factions contre le conseil de Charles II, et sur cela tu prends Locke pour un conjuré. Tu fais d’étranges bévues, de terribles blunders. Celui que tu appelles le héros du parti philosophiste était le petit-fils du comte de Shaftesbury, grand chancelier d’Angleterre[1]. Le grand-père n’était qu’un politique ; le petit-fils fut un véritable philosophe, et passa sa vie dans la retraite, loin des fripons et des fanatiques. Pauvre homme ! voilà ce que c’est que de parler au hasard, et de savoir les choses à demi. N’es-tu pas honteux d’avoir trompé ainsi ton troupeau du Puy en Velay ?

Ami Jean-George,

Voici un évêque, ton confrère, qui vient rendre à Chaubert ta pastorale, que Chaubert lui avait vendue douze francs : « Je ne veux point, dit-il, de cet impertinent ouvrage ; il faut que mon confrère ait perdu la tête. Quel amas de phrases qui ne signifient rien ! il ne dit que des injures. Cet homme fait tout ce qu’il peut pour rendre ridicule ce qu’il veut faire respecter. J’aimerais mieux encore, je crois (Dieu me pardonne !), les vers judaïques de son frère aîné. » C’est ainsi qu’a parlé ce digne prélat. Je me joins à lui.

Adieu, Jean-George.


FIN DE LA LETTRE.
  1. On lit dans les premières éditions : « était le fils du comte de Shaftesbury. Le père n’était qu’un politique ; le fils fut, etc. » C’est d’après la lettre à Damilaville, du 19 décembre 1763, que je rétablis trois mots omis, quoique les autres corrections eussent été faites. (B.)