Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/217

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE LA GAZETTE LITTÉRAIRE. 207

teurs ne connaissent que par ouï-dire. On transporte dans nos forêts les palmiers d'Asie et les lions d'Afrique. Les bergers de Pope se plaignent des ardeurs dévorantes de l'été, comme ceux de Théocrite s'en plaignaient dans les campagnes de Sicile. Pope, dans sa troisième Pastorale, dont la scène est en Angleterre, décrit comme \irgi\e le bridant Shiiis embrasant les champs altérés*. Il peint, dans les vignes de Windsor, la grappe gonflée par des flots de vin. Le fameux Spenser, qui écrivait sous le règne d'Elisabeth, a introduit des loups en Angleterre ; tout le monde sait cepen- dant qu'il n'y a pas plus de vigne que de loups dans cette île.

Il y a, dans la situation de chaque pays et dans la manière de vivre des habitants, des particularités qui doivent affecter la poésie de chaque nation. Les Juifs, par leur religion et leur poli- tique, étaient séparés du reste du monde. Leur commerce était peu considérable, et leur principale occupation était le soin des troupeaux et la culture de la vigne. De là cette multitude d'images tirées des travaux relatifs à ce genre d'occupation.

La prosopopée paraît être la figure favorite des écrivains hé- breux. Ils personnifient Juda et Babylone, dont ils représentent les filles désolées et faisant entendre les voix les plus pathétiques de la douleur. Les Grecs et les Romains ont représenté sur leurs médailles des provinces et des nations entières sous des figures de femmes, mais rarement dans leurs écrits. On trouve sur des médailles romaines la Judée pleurant sous son palmier.

Les poésies des Hébreux sont en général plus dramatiques que celles d'aucune autre nation ; le poète met presque toujours l'apostrophe et le dialogue à la place du simple récit. Le livre de Job, qui est vraiment poétique pour le style, est entièrement dramatique : ce qui y répand beaucoup d'intérêt et de vie, parce que le poète et le lecteur se supposent nécessairement dans les mêmes circonstances où se trouve le personnage qui parle.

La multitude des idées fortes et grandes qu'on rencontre dans les prophètes est étonnante. Les Grecs seuls peuvent leur être comparés à cet égard, car les Romains sont plutôt purs, élé- gants, et corrects, que sublimes, et, excepté dans la satire, ils

��1. The sultry Sirius burns the thirsty plains. Ce vers est rendu d'une manière curieuse dans une traduction des Pastorales de Pope, faite par M. de Lustrac, et imprimée à Paris chez David le jeune, 1753. M. de Lustrac traduit: « Le Sirius brûlant embrase les champs altérés qu'il traverse » : et, pour expli- cation, il nous apprend dans une note que le Sirius est un fleuve d'Ethiopie célèbre par sa profondeur. On peut juger du goût qui règne dans le reste de la traduction. {Note de Voltaire.)

�� �