Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/214

Cette page n’a pas encore été corrigée

204 ARTICLES EXTRAITS

idée de ce que nous appelons goût, délicatesse, convenance. Leurs allusions fréquentes à la grossesse, à l'accouchement, et à d'autres infirmités du beau sexe, choquent étrangement notre goût et nos mœurs.

Le défaut commun des figures et des métaphores qu'on trouve dans les poëmes hébreux est d'être presque toujours outrées. Il faut observer cependant que ce défaut pouvait n'en être pas un pour les Juifs. Ce peuple, dont les mœurs étaient simples et en- core barbares, dont l'imagination était sans cesse exaltée par l'ardeur du climat, par le spectacle continuel de la guerre, par la pompe d'une religion majestueuse et terrible, pouvait trouver naturelles des figures qui nous paraissent exagérées. Mais il y en a qui ne peuvent être justifiées par rien : Des collines qui bondis- sent comme des agneaux^ forment une image qui passe toutes les limites de la licence. La comparaison, qui est une des figures le plus communément employées par les Hébreux, est aussi une de celles où nous trouvons le moins de justesse et de précision : dans les peintures fortes et grandes ce défaut est moins frappant ; mais dans les images simples et gracieuses il est insupportable. Voyez le Cantique des cantiques, ce poëme plein de douceur et de grâces. Cedébut^ présente un tableau charmant : « Levez-vous, dé- lices de mon cœur ! venez, ma bien-aimée ! Les frimas et les pluies ont disparu. Déjeunes fleurs naissent déjà du sein de la terre. Les oiseaux recommencent leur ramage, et la tourterelle fait enten- dre son chant plaintif. Le figuier assaisonne ses fruits d'un suc délicieux, et la vigne florissante répand au loin un doux parfum. Levez-vous, délices de mon cœur ! venez, ô ma bien-aimée ! » Cela est beau dans tous les temps et dans tous les climats. Mais lorsque l'amant compare le cou de sa bien-aimée à la tour de David, ses yeux au soleil et à la lune, ses cheveux à un troupeau de chèvres, etc., cela ne peut être agréable dans aucune langue. Ailleurs on compare les dents de l'épouse à un troupeau de brebis pareilles et sortant du lavoir^, et sa gorge à deux faons jumeaux^ qui paissent au milieu des lis : ces deux images ont quelque chose de piquant et de doux, mais il s'y joint encore je ne sais quoi de gigantesque qui en détruit la grâce et l'effet. M. Lowth, en louant presque également ces différents morceaux, s'est laissé aller à

1. « Et exsultabunt colles sicut agni oviiim. » {Note de Voltaire.) — On lit dans le psaume cxiii, verset 4 : « ... Exsultaverunt... colles sicut agni ovium. »

2. Chap. II, verset 10.

3. Chap. IV, verset 2.

4. Ibid., 5.

�� �