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172 ARTICLES EXTRAITS

ce royaume ? Mais c'est précisément tout le contraire : c'est de l'anarchie que l'ordre est sorti ; c'est du sein de la discorde et de la cruauté que sont nées la paix intérieure et la liberté publique.

Voilà ce qui distingue le peuple anglais de tous les autres peuples, et ce qui rend son histoire si intéressante et si instruc- tive. Ce peuple rentre de lui-même dans l'ordre, et quelques années après la catastrophe de Charles I", on voit les fanatiques absurdes et féroces qui ont trempé leurs mains dans son sang changés en philosophes. La raison humaine se perfectionne dans la même ville où il n'y avait peut-être pas, du temps de Charles I", un seul homme qui eût des notions raisonnables.

Un des plus étonnants contrastes de l'esprit humain, c'est celui de l'autorité que Cromwell avait dans les parlements, ainsi que dans les armées, avec ce galimatias absurde et dégoûtant qui régnait dans tous ses discours. Toutes les paroles qu'on a re- cueillies de lui sont au-dessous de ce que les prophètes des Cévennes ont jamais prononcé de plus bas et de plus extrava- gant; ce sont des expressions qui n'ont aucun sens, et des termes de la plus vile populace. C'est ainsi qu'il parlait dans le parle- ment ainsi que dans la chaire, et peut-être, à la honte des hommes, c'est ainsi qu'il fallait parler alors : car, le jargon pres- bytérien et la folie prophétique étant à la mode, un discours raisonnable n'aurait point ému des hommes dont l'enthousiasme avait éteint la raison. Quelle prodigieuse différence entre le style des bons écrivains de la nation et celui de Cromwell, c'est-à-dire entre leurs idées ! Cependant c'est ce style qui le met sur le trône, car la valeur n'en eût fait qu'un colonel ou un major : c'est avec le galimatias prophétique qu'il a régné.

Après cette épouvantable confusion dans l'État, dans l'Église, dans la société, dans la manière de penser, la raison a enfin repris son empire, et l'a étendu même au delà des bornes ordinaires. C'est aujourd'hui surtout qu'on peut dire de cette nation :

Trois pouvoirs, étonnés du nœud qui les rassemble, Les députés du peuple, et les grands, et le roi, Divisés d'intérêts, réunis par la loi, etc.

{[lenriade, ch. I, 314-16.)

La fureur des partis a longtemps privé l'Angleterre d'une bonne histoire comme d'un bon gouvernement. Ce qu'un tory écrivait était nié par les whigs, démentis à leur tour parles torys-

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