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130 LE DOUTEUR

de celle des jésuites, qui possèdent trois cents lieues de pays en long- et en large au Paraguai ? Pourquoi ne croyez-vous pas aux prémontrés, aux bénédictins, à qui Jésus a donné tant de riches abbayes ?

l'adorateur. Jésus n'a institué ni les bénédictins, ni les prémontrés, ni les jésuites.

LE DOUTEUR.

Pensez-vous qu'on puisse servir Dieu en mangeant du mouton le vendredi, et en n'allant point à la messe ? l'adorateur.

Je le crois fermement, attendu que Jésus n'a jamais dit la messe, et qu'il mangeait gras le vendredi, et même le samedi.

LE DOUTEUR.

Vous pensez donc qu'on a corrompu la religion simple et naturelle de Jésus, qui était apparemment celle de tous les sages de l'antiquité?

l'adorateur.

Rien ne paraît plus évident. Il fallait bien qu'au fond il fût un sage, puisqu'il déclamait contre les prêtres imposteurs, et contre les superstitions ; mais on lui impute des choses qu'un sage n'a pu ni faire ni dire. Un sage ne peut chercher des figues au commencement de mars sur un figuier ^ et le maudire parce qu'il n'a point de figues. Un sage ne peut changer l'eau en vin - en faveur de gens déjà ivres. Un sage ne peut envoyer des diables dans le corps de deux mille cochons ^ dans un pays où il n'y a point de cochons. Un sage ne se transfigure point pendant la nuit* pour avoir un habit blanc. Un sage n'est pas transporté par le diable ^ Un sage, quand il dit que Dieu est son père, entend sans doute que Dieu est le père de tous les hommes : le sens dans lequel on a voulu l'entendre est impie et blasphématoire.

Il paraît que les paroles et les actions de ce sage ont été très- mal recueillies ; que parmi plusieurs histoires de sa vie, écrites quatre-vingt-dix ans après lui, on a choisi les plus improbables, parce qu'on les crut les plus importantes pour des sots. Chaque écrivain se piquait de rendre cette histoire merveilleuse. Chaque petite société chrétienne avait son Évangile particulier. C'est la

1. Matthieu, xi, 19; Marc, xi, 13.

2. Jean, ii, 9.

3. Matth., viii, 32 ; Marc, v, 13.

4. Matth., XVII, 2; Marc, ix, 2 ; Luc, ix, 29.

5. Matth., IV, 8 ; Luc, iv, 5.

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