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LES DERNIÈRES PAROLES D’ÉPICTÈTE.

la belle morale que la morale des Juifs, qui sont sans prépuce, et qu’on lave depuis les pieds jusqu’à la tête !

épictète.

Et quels sont donc les préceptes moraux de ces gens-là ?

le fils.

C’est premièrement qu’un homme riche ne peut être un homme de bien, et qu’il lui est plus difficile de gagner le royaume des cieux ou le jardin, qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille[1], moyennant quoi tous les riches doivent donner leurs biens aux gueux qui prêchent ce royaume ou ce jardin ;

2o Qu’il n’y a d’heureux que les sots, les pauvres d’esprit[2] ;

3o Que quiconque n’écoute pas l’assemblée des gueux doit être détesté comme un receveur des impôts[3] ;

4o Que si l’on ne hait pas son père, sa mère et ses frères, on n’a point de part au royaume ou au jardin[4] ;

5o Qu’il faut apporter le glaive et non la paix[5] ;

6o Que quand on fait un festin de noces, il faut forcer tous les passants à venir aux noces, et jeter dans un cul de basse-fosse extérieure ceux qui n’auront pas la robe nuptiale[6].

épictète.

Hélas ! mon sot enfant, j’étais tout à l’heure sur le point de mourir de rire, et je sens à présent que tu me feras mourir d’indignation et de douleur. Si les malheureux dont tu me parles séduisent le fils d’Épictète, ils en séduiront bien d’autres. Je prévois des malheurs épouvantables sur la terre. Ces énergumènes sont-ils nombreux ?

le fils.

Leur nombre augmente de jour en jour ; ils ont une caisse commune dont ils payent quelques Grecs qui écrivent pour eux. Ils ont inventé des mystères ; ils exigent un secret inviolable ; ils ont institué des inspirés qui décident de tous leurs intérêts, et qui ne souffrent pas que les gens de la secte plaident jamais devant les magistrats.

épictète.

Imperium in imperio. Mon fils, tout est perdu.

FIN DU DIALOGUE.
  1. Matthieu, chap. xix, v. 24.
  2. Ibid., chap. v, v. 3.
  3. Ibid., chap. xviii, v. 17.
  4. Luc, chap. xiv, v. 26 ; et Matthieu, chap. x, v. 36, 37 et 38.
  5. Matthieu, chap. x, v. 34.
  6. Ibid., chap. xxii, v. 13.