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INSTRUCTION PASTORALE.
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faire une correction fraternelle, que tous les bons chrétiens se doivent les uns aux autres : devoirs dont ils se sont fidèlement acquittés dans tous les temps.

Ce n’est pas que nous voulions contester à Jean-George ses prétentions épiscopales au bel esprit ; ce n’est pas que nous ne sachions estimer son zèle ardent, qui, dans la crainte d’omettre les choses utiles, se répand presque toujours sur celles qui ne le sont pas. Nous convenons de son éloquence abondante, qui n’est jamais étouffée sous les pensées ; nous admirons sa charité chrétienne, qui devine les plus secrets sentiments de tous ses contemporains, et qui les empoisonne, de peur que leurs sentiments n’empoisonnent le siècle.

Mais, en rendant justice à toutes les grandes qualités de Jean-George, nous tremblons, mes chers frères, qu’il n’ait fait une bévue dans son instruction pastorale, laquelle plusieurs malins d’entre vous disent n’être ni d’un homme instruit ni d’un pasteur. Cette bévue consiste à regarder les plus grands génies comme des incrédules ; il met dans cette classe Montaigne, Charron, Fontenelle, et tous les auteurs de nos jours, sans parler de la prière du déiste de monsieur son frère aîné, que Dieu absolve.

C’est une entreprise un peu trop forte d’écrire contre tout son siècle ; et ce n’est peut-être pas avoir un zèle selon la science que de dire : Mes frères, tous les gens d’esprit et tous les savants pensent autrement que moi, tous se moquent de moi ; croyez donc tout ce que je vais vous dire. Ce tour ne nous a pas paru assez habile.

On dit aussi qu’il y a dans l’in-4° de mon confrère Jean-George un long chapitre contre la tolérance, malgré la parole de Jésus-Christ et des apôtres, qui nous ordonne de nous supporter les uns les autres. Mes frères, je vous exhorte, selon cette parole, à supporter Jean-George. Vous avez beau dire que son livre est insupportable ; ce n’est pas une raison pour rompre les liens de la charité. Si son ouvrage vous a paru trop gros, je dois vous dire, pour vous rassurer, que mon relieur m’a promis qu’il serait fort plat quand il aurait été battu.

Nous demeurons donc unis à Jean-George, et même à Jean-Jacques[1], quoique nous pensions différemment d’eux sur quelques articles. Ce qui nous console, c’est qu’on nous assure de tous côtés

  1. Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, sujet de tant de plaisanteries de Voltaire (voyez tome XXIV, pages 111, 125, 455, 457, 461), était frère aîné de Jean-George.