Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
SUITE ET CONCLUSION.

avaient servi à condamner Jean Calas à la roue, et son fils Pierre au bannissement.

Ce fut alors que parut un nouveau mémoire de l’éloquent M. de Beaumont[1], et un autre du jeune M. de Lavaisse, si injustement impliqué dans cette procédure criminelle par les juges de Toulouse, qui, pour comble de contradiction, ne l’avaient pas déclaré absous. Ce jeune homme fit lui-même un factum qui fut jugé digne par tout le monde de paraître à côté de celui de M. de Beaumont. Il avait le double avantage de parler pour lui-même et pour une famille dont il avait partagé les fers. Il n’avait tenu qu’à lui de briser les siens et de sortir des prisons de Toulouse, s’il avait voulu seulement dire qu’il avait quitté un moment les Calas dans le temps qu’on prétendait que le père et la mère avaient assassiné leur fils. On l’avait menacé du supplice ; la question et la mort avaient été présentées à ses yeux ; un mot lui aurait pu rendre sa liberté : il aima mieux s’exposer au supplice que de prononcer ce mot, qui aurait été un mensonge. Il exposa tout ce détail dans son factum, avec une candeur si noble, si simple, si éloignée de toute ostentation, qu’il toucha tous ceux qu’il ne voulait que convaincre, et qu’il se fit admirer sans prétendre à la réputation.

Son père, fameux avocat, n’eut aucune part à cet ouvrage : il se vit tout d’un coup égalé par son fils, qui n’avait jamais suivi le barreau.

Cependant les personnes de la plus grande considération venaient en foule dans la prison de Mme Calas, où ses filles s’étaient renfermées avec elle. On s’y attendrissait jusqu’aux larmes. L’humanité, la générosité, leur prodiguaient des secours. Ce qu’on appelle la charité ne leur en donnait aucun. La charité, qui d’ailleurs est si souvent mesquine et insultante, est le partage des dévots, et les dévots tenaient encore contre les Calas.

Le jour arriva (9 mars 1765) où l’innocence triompha pleinement. M. de Baquencourt ayant rapporté toute la procédure, et ayant instruit l’affaire jusque dans les moindres circonstances, tous les juges, d’une voix unanime, déclarèrent la famille innocente, tortionnairement et abusivement jugée par le parlement de Toulouse. Ils réhabilitèrent la mémoire du père. Ils permirent à la famille de se pourvoir devant qui il appartiendrait pour

  1. Mémoire à consulter et Consultation pour les enfants du défunt J. Calas, marchand à Toulouse. Délibéré, à Paris, ce 22 janvier 1765. Signé : Lambon, Mallard, d’Outremont, Mariette, Gerbier, Legouvé, Loyseau de Mauléon, Élie de Beaumont.