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SUITE ET CONCLUSION.

leurs droits ; mais ils écoutent tous malgré eux, à la longue, ma voix qui parle à leur cœur. Moi seule je conserve l’équité dans les tribunaux, où tout serait livré sans moi à l’indécision et aux caprices, au milieu d’un amas confus de lois faites souvent au hasard et pour un besoin passager, différentes entre elles de province en province, de ville en ville, et presque toujours contradictoires entre elles dans le même lieu. Seule je peux inspirer la justice, quand les lois n’inspirent que la chicane. Celui qui m’écoute juge toujours bien ; et celui qui ne cherche qu’à concilier des opinions qui se contredisent est celui qui s’égare.

« Il y a un édifice immense dont j’ai posé le fondement de mes mains : il était solide et simple, tous les hommes pouvaient y entrer en sûreté ; ils ont voulu y ajouter les ornements les plus bizarres, les plus grossiers, et les plus inutiles ; le bâtiment tombe en ruine de tous les côtés ; les hommes en prennent les pierres, et se les jettent à la tête ; je leur crie : Arrêtez, écartez ces décombres funestes qui sont votre ouvrage, et demeurez avec moi en paix dans l’édifice inébranlable qui est le mien[1]. »


ARTICLE NOUVELLEMENT AJOUTÉ,

DANS LEQUEL ON REND COMPTE DU DERNIER ARRÊT RENDU EN FAVEUR DE LA FAMILLE DES CALAS.


Depuis le 7 mars 1763 jusqu’au jugement définitif, il se passa encore deux années : tant il est facile au fanatisme d’arracher la vie à l’innocence, et difficile à la raison de lui faire rendre justice. Il fallut essuyer des longueurs inévitables, nécessairement attachées aux formalités. Moins ces formalités avaient été observées dans la condamnation de Calas, plus elles devaient l’être rigoureusement par le conseil d’État. Une année entière ne suffit pas pour forcer le parlement de Toulouse à faire parvenir au conseil toute la procédure, pour en faire l’examen, pour le rapporter. M. de Crosne fut encore chargé de ce travail pénible. Une assemblée de près de quatre-vingts juges cassa l’arrêt de Toulouse, et ordonna la révision entière du procès.

D’autres affaires importantes occupaient alors presque tous les tribunaux du royaume. On chassait les jésuites ; on abolissait

  1. C’est ici que finit le Traité de la Tolérance dans l’édition de 1763 ; l’article qui suit fut ajouté, en 1765, dans l’impression qui fait partie du tome second des Nouveaux Mélanges.