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CHAPITRE XXV.

opiné à la roue ; ils demanderont au parlement qu’on brûle votre livre, et les fanatiques (car il y en a toujours) répondront par des cris de fureur à la voix de la raison, etc. »

Voici ma réponse :

« Les huit juges de Toulouse peuvent faire brûler mon livre, s’il est bon ; il n’y a rien de plus aisé : on a bien brûlé les Lettres provinciales, qui valaient sans doute beaucoup mieux ; chacun peut brûler chez lui les livres et papiers qui lui déplaisent.

« Mon ouvrage ne peut faire ni bien ni mal aux Calas, que je ne connais point. Le conseil du roi, impartial et ferme, juge suivant les lois, suivant l’équité, sur les pièces, sur les procédures, et non sur un écrit qui n’est point juridique, et dont le fond est absolument étranger à l’affaire qu’il juge.

« On aurait beau imprimer des in-folio pour ou contre les huit juges de Toulouse, et pour ou contre la tolérance, ni le conseil, ni aucun tribunal ne regardera ces livres comme des pièces du procès.

« Cet écrit sur la tolérance est une requête que l’humanité présente très-humblement au pouvoir et à la prudence. Je sème un grain qui pourra un jour produire une moisson. Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de raison qui commence à répandre partout sa lumière.

« La nature dit à tous les hommes : Je vous ai tous fait naître faibles et ignorants, pour végéter quelques minutes sur la terre, et pour l’engraisser de vos cadavres. Puisque vous êtes faibles, secourez-vous ; puisque vous êtes ignorants, éclairez-vous et supportez-vous. Quand vous seriez tous du même avis, ce qui certainement n’arrivera jamais, quand il n’y aurait qu’un seul homme d’un avis contraire, vous devriez lui pardonner : car c’est moi qui le fais penser comme il pense. Je vous ai donné des bras pour cultiver la terre, et une petite lueur de raison pour vous conduire ; j’ai mis dans vos cœurs un germe de compassion pour vous aider les uns les autres à supporter la vie. N’étouffez pas ce germe, ne le corrompez pas, apprenez qu’il est divin, et ne substituez pas les misérables fureurs de l’école à la voix de la nature.

« C’est moi seule qui vous unis encore malgré vous par vos besoins mutuels, au milieu même de vos guerres cruelles si légèrement entreprises, théâtre éternel des fautes, des hasards, et des malheurs. C’est moi seule qui, dans une nation, arrête les suite funestes de la division interminable entre la noblesse et la magistrature, entre ces deux corps et celui du clergé, entre le bourgeois même et le cultivateur. Ils ignorent tous les bornes de