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CHAPITRE XXIV.

Mais s’il arrive qu’ils en soient les maîtres, je leur présente de loin cette requête, au sujet de deux lignes de la page 93 du saint libelle :

« Faut-il sacrifier au bonheur du vingtième de la nation le bonheur de la nation entière ? »

Supposé qu’en effet il y ait vingt catholiques romains en France contre un huguenot, je ne prétends point que le huguenot mange les vingt catholiques ; mais aussi pourquoi ces vingt catholiques mangeraient-ils ce huguenot, et pourquoi empêcher ce huguenot de se marier ? N’y a-t-il pas des évêques, des abbés, des moines, qui ont des terres en Dauphiné, dans le Gévaudan, devers Agde, devers Carcassonne ? Ces évêques, ces abbés, ces moines, n’ont-ils pas des fermiers qui ont le malheur de ne pas croire à la transsubstantiation ? N’est-il pas de l’intérêt des évêques, des abbés, des moines et du public, que ces fermiers aient de nombreuses familles ? N’y aura-t-il que ceux qui communieront sous une seule espèce à qui il sera permis de faire des enfants ? En vérité cela n’est ni juste ni honnête.

« La révocation de l’édit de Nantes n’a point autant produit d’inconvénients qu’on lui en attribue », dit l’auteur.

Si en effet on lui en attribue plus qu’elle n’en a produit, on exagère, et le tort de presque tous les historiens est d’exagérer ; mais c’est aussi le tort de tous les controversistes de réduire à rien le mal qu’on leur reproche. N’en croyons ni les docteurs de Paris ni les prédicateurs d’Amsterdam.

Prenons pour juge M. le comte d’Avaux, ambassadeur en Hollande, depuis 1685 jusqu’en 1688. Il dit, page 181, tome V[1], qu’un seul homme avait offert de découvrir plus de vingt millions que les persécutés faisaient sortir de France, Louis XIV répond à M. d’Avaux : « Les avis que je reçois tous les jours d’un nombre infini de conversions ne me laissent plus douter que les plus opiniâtres ne suivent l’exemple des autres. »

On voit, par cette lettre de Louis XIV, qu’il était de très-bonne foi sur l’étendue de son pouvoir. On lui disait tous les matins : Sire, vous êtes le plus grand roi de l’univers ; tout l’univers fera gloire de penser comme vous dès que vous aurez parlé. Pellisson, qui s’était enrichi dans la place de premier commis des finances ; Pellisson, qui avait été trois ans à la Bastille comme complice de Fouquet ; Pellisson, qui de calviniste était devenu diacre et bénéficier, qui faisait imprimer des prières pour la messe et des bou-

  1. Négociations en Hollande, 6 vol., 1752-53.