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LETTRE ÉCRITE AU JÉSUITE LE TELLIER.

curés étant habilement choisis par les évêques, voici ce que je conseille, sous le bon plaisir de Votre Révérence.

7° Comme on dit que les jansénistes communient au moins à Pâques, il ne serait pas mal de saupoudrer les hosties de la drogue dont on se servit pour faire justice de l’empereur Henri VII[1]. Quelque critique me dira peut-être qu’on risquerait, dans cette opération, de donner aussi la mort-aux-rats aux molinistes : cette objection est forte ; mais il n’y a point de projet qui n’ait des inconvénients, point de système qui ne menace ruine par quelque endroit. Si on était arrêté par ces petites difficultés, on ne viendrait jamais à bout de rien ; et d’ailleurs, comme il s’agit de procurer le plus grand bien qu’il soit possible, il ne faut pas se scandaliser si ce grand bien entraîne après lui quelques mauvaises suites, qui ne sont de nulle considération.

Nous n’avons rien à nous reprocher : il est démontré que tous les prétendus réformés, tous les jansénistes, sont dévolus à l’enfer ; ainsi ne faisons que hâter le moment où ils doivent entrer en possession.

Il n’est pas moins clair que le paradis appartient de droit aux molinistes : donc, en les faisant périr par mégarde et sans aucune mauvaise intention, nous accélérons leur joie ; nous sommes dans l’un et l’autre cas les ministres de la Providence.

Quant à ceux qui pourraient être un peu effarouchés du nombre, Votre Paternité pourra leur faire remarquer que depuis les jours florissants de l’Église jusqu’à 1707, c’est-à-dire depuis environ quatorze cents ans, la théologie a procuré le massacre de plus de cinquante millions d’hommes ; et que je ne propose d’en étrangler, ou égorger, ou empoisonner, qu’environ six millions cinq cent mille.

On nous objectera peut-être encore que mon compte n’est pas juste, et que je viole la règle de trois : car, dira-t-on, si en quatorze cents ans il n’a péri que cinquante millions d’hommes pour des distinctions, des dilemmes et des antilemmes théologiques, cela ne fait par année que trente-cinq mille sept cent quatorze personnes avec fraction, et qu’ainsi je tue six millions quatre cent soixante-quatre mille deux cent quatre-vingt cinq personnes de trop avec fraction pour la présente année.

Mais, en vérité, cette chicane est bien puérile ; on peut même dire qu’elle est impie : car ne voit-on pas, par mon procédé, que je sauve la vie à tous les catholiques jusqu’à la fin du monde ?

  1. Voyez tome XIII, page 387.