Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/582

Cette page n’a pas encore été corrigée

S72 REMARQUES DE L'ESSAI

cèse d'Uzès, et trois femmes grosses étant du nombre des morts, on les éventra pour tuer leurs enfants dans leurs entrailles. Ces femmes grosses étaient dans leur tort, elles avaient en effet désobéi aux nouveaux édits; mais, encore une fois, les premiers chrétiens ne désobéissaient-ils pas aux édits des empereurs quand ils prê- chaient? Il faut absolument ou convenir que les juges romains firent très-bien de pendre les chrétiens, ou dire que les juges catholiques firent très-mal de pendre les protestants : car et pro- testants et premiers chrétiens étaient précisément dans les mêmes termes ; on ne peut trop le répéter, ils étaient également innocents ou également coupables.

Enfin les chrétiens persécutés par Maximin égorgèrent après sa mort son fils âgé de dix-huit ans, sa fille âgée de sept, et noyèrent sa veuve dans l'Oronte. Les protestants, persécutés par l'abbé du Chaila, le massacrèrent. Ce fut là l'origine de la guerre horrible des Cévennes. Il est même impossible que la révolte n'ait pas commencé par la persécution. Il n'est pas dans la nature humaine que le peuple se soulève contre ses magistrats, et les égorge quand il n'est pas poussé à bout. Mahomet lui-même ne fit d'abord la guerre que pour se défendre, et peut-être n'y aurait-il point de mahométans sur la terre si les Mecquois n'avaient pas voulu faire mourir Mahomet.

On ne peut, dans un Essai sur les Mœurs, entrer dans le détail des horreurs qui ont dévasté tant de provinces : le genre humain paraîtrait trop odieux si l'on avait tout dit.

Il sera utile que, dans les histoires particulières, on voie un détail de nos crimes, afin qu'on ne les commette plus. Les pro- scriptions de Sylla et d'Octave, par exemple, n'approchèrent pas des massacres des Cévennes, ni pour le nombre, ni pour la bar- barie ; elles sont seulement plus célèbres, parce que le nom de l'ancienne Rome doit faire plus d'impression que celui des vil- lages et des cavernes d'Anduze, et Sylla, Antoine, Auguste, en im- posent plus que Ravanel et Castagnet, Mais l'atrocité fut poussée plus loin dans les six années des troubles du Languedoc que dans les trois mois de proscriptions du triumvirat. On en peut juger par des lettres de l'éloquent Fléchicr, qui était évêque de jNîmes dans ces temps funestes. Il écrit en 1704 : « Plus de quatre mille catholiques ont été égorgés à la campagne, quatre-vingts prêtres massacrés, deux cents églises brûlées. » Il ne parlait que de son diocèse : les autres étaient en proie aux mêmes calamités.

Jamais il n'y eut de plus grands crimes suivis de plus horribles supplices, et les deux partis, tantôt assassins, tantôt assassinés,

�� �