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SUR LES MŒURS. oTI

damnés marchaient au supplice avec la même intrépidité. Jean Hus et Jérôme de Prague en eurent autant que saint Ignace et saint Polycarpe : il n'y a de différence entre eux que la cause, et il y a cette différence entre leurs juges que les Romains n'étaient pas obligés par leur religion à épargner ceux qui voulaient dé- truire leurs dieux, et que les chrétiens étaient obligés par leur religion à ne pas persécuter inhumainement des chrétiens, leurs frères, qui adoraient le même Dieu.

Si c'est la politique bien ou mal entendue qui a livré aux bourreaux les premiers chrétiens et les hérétiques d'entre les chrétiens, la chose est encore absolument égale de part et d'autre : si c'est le zèle, ce zèle est encore égal des deux côtés. Si l'on re- garde comme très-injustes les païens persécuteurs, on doit regarder aussi comme très-injustes les chrétiens persécuteurs. Ces maximes sont vraies, et il a fallu les développer pour le bien des hommes.

Il est constant que ceux qui se dirent réformés en France furent persécutés quarante ans avant qu'ils se révoltassent: car ce ne fut qu'après le massacre de Vassy qu'ils prirent les armes.

On doit aussi avouer que la guerre qu'une populace sauvage fit vers les Cévennes, sous Louis XIV, fut le fruit de la persécution. Les camisards agirent en bêtes féroces; mais on leur avait enlevé leurs femelles et leurs petits : ils déchirèrent les chasseurs qui couraient après eux.

Les deux partis ne conviennent pas de l'origine de ces hor- reurs. Les uns disent que le meurtre de l'abbé du Chaila, chef des missions du Languedoc, fut commis pour reprendre une fille des mains de cet abbé; les autres, pour délivrer plusieurs enfants qu'il avait enlevés à leurs parents afin de les instruire dans la foi catholique : ces deux causes peuvent avoir concouru, et l'on ne peut nier que la violence n'ait produit le soulèvement qui causa tant de crimes, et qui attira tant de supphces.

Après la paix de Rysvick, Orange, où régnait encore la religion protestante, appartenant à Louis XIV, plusieurs habitants du Languedoc y allèrent chanter leurs psaumes, et prier Dieu dans leur jargon. A leur retour on en prit cent trente, hommes et femmes, qu'on attacha deux à deux sur le chemin ; les plus ro- bustes, au nombre de soixante-dix, furent envoyés aux galères.

Rientôt après, un prédicant nommé xAIarlié fut pendu avec ses trois enfants, convaincu d'avoir prêché sa rehgion, et d'avoir fait convoquer l'assemblée par ses fils. On fit feu sur plusieurs familles qui allaient au prêche ; ou en tua dix-huit dans le dio-

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