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SUR LES MOEURS. 565

puisque les Tartares leur eulevaient alors ces contrées, ou du moins achevaient de les désoler par leurs incursions; pays enfin sur lequel les empereurs de Constantinople, dépouillés aupara- vant par les croisés mêmes, pouvaient seuls avoir quelques droits, et sur lequel les croisés n'avaient seulement pas l'apparence d'une prétention.

On a inséré dans la nouvelle Histoire de France, par M, l'abbé VellyS un passage dans lequel on accuse l'auteur de l'Essai sur les Mœurs d'avoir inventé que saint Louis entreprit la croisade contre Tunis pour seconder les vues ambitieuses et intéressées de son frère Charles d'Anjou, roi des Deux-Siciles. Il n'a point assurément inventé ce fait, qui est très-précieux dans l'histoire de l'esprit humain : ce fait se trouve dans toutes les anciennes chro- niques de l'Italie; il est transcrit dans VHistoire universelle de Delisle, tome III, page 295-. On le voit en propres mots dans Mézerai, sous l'année 1269. u Quant au saint roi, dit-il, il tourna son entreprise sur le royaume de Tunis par deux motifs : l'un, qu'il lui semblait que la conquête de ce pays-là lui frayerait le chemin à celle de l'Egypte, sans laquelle il ne pouvait garder la Terre Sainte ; l'autre, que son frère l'y portait, à dessein de rendre ces côtes d'Afrique tributaires de son royaume de Sicile, comme elles l'avaient été du temps de Roger, prince normand. » Rapin de Thoiras dit expressément la même chose dans le règne de Henri III d'Angleterre.

Il n'est donc que trop vrai que la simplicité héroïque de Louis le rendit la victime de l'ambition de son frère, qui devait être de cette croisade : ce fut même une des raisons qui porta le barbare Charles d'Anjou à faire périr, par la main du bourreau, Couradin, héritier légitime des Deux-Siciles, le duc d'Autriche, son cousin, et le prince Conrad, un des fils de l'empereur Frédéric II ; il crut qu'il était de sa politique de se souiller d'une action si honteuse, afin de n'être point inquiété dans la Sicile quand il irait piller l'Afrique. Quels préparatifs pour un saint voyage ! Mais en quoi d'ailleurs était-il si saint? Il n'était question que d'aller gagner des dépouilles et la peste sur les ruines de Carthage.

Saint Louis partit sous ces funestes auspices, et son frère n'arriva qu'après sa mort. Si le monarque de France prétendait aller de Tunis en Egypte, cette entreprise était beaucoup plus périlleuse que sa première croisade, et ses troupes auraient péri

1. Tome VI de l'édition in-1-2, page 73. Ce volume de Velly est de 1758.

2. U Abrégé de l'Histoire universelle, par C. Delisle, 1731, a 7 volumes in-I2.

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