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SUR LES .MŒURS. 561

d'être hérétique ou fauteur d'hérétiques, ou d'avoir épousé sa cousine au cinquième degré, ou d'avoir mangé gras le vendredi. On donnait (le l'argent au pape, qui, en échange, donnait la pro- vince par une bulle : cette bulle était l'étendard auquel les peuples se ralliaient, et le pape, qui ne possédait pas un pouce de terre dans Rome, donnait des royaumes ailleurs.

La même chose arriva aux califes dans leur décadence qu'aux papes dans leur élévation. Les sultans de l'Asie et de l'Egypte, et du reste de l'Afrique, les rois des provinces espagnoles, prirent des investitures des califes, qui ne possédaient plus rien. Tel a été le chaos où la terre fut longtemps plongée.

Les évêques allemands, dans l'anarchie de l'empire, s'étaient déjà faits princes et en prenaient le titre, quand les papes étaient bien moins puissants dans Home qu'un évêque de Vurtzbourg en Allemagne. Les papes avaient à Rome si peu de pouvoir qu'ils furent obligés de se réfugier dans Avignon pendant soixante et dix ans.

Martin V, élu au concile de Constance, est, je crois, le premier qui soit représenté sur les monnaies avec la triple couronne, in- ventée par Roniface VIII. Les papes n'ont été réellement les maîtres de Rome que quand ils ont eu le château Saint-Ange, ce qui n'arriva qu'au xv^ siècle.

Enfin ils ont régné, mais sans jamais se dire rois de Rome; et les empereurs, qui n'ont jamais cessé d'en être rois, n'ont osé jamais y demeurer. Le monde se gouverne par des contradictions, et voilà sans doute la plus frappante : elle dure depuis Charle- magne.

Charles-Quint, roi de Rome, voulut bien la saccager; mais d'y demeurer seulement trois mois, de prétendre y fixer le siège de son empire, c'est ce que ce prince victorieux n'osa point entre- prendre.

Comment donc accorder la souveraineté du pape avec celle du roi des Romains? C'est un problème que le temps a résolu insensiblement. Il semble que les empereurs et les papes soient convenus tacitement que les uns régneraient en Allemagne, et seraient rois de Rome de droit, tandis que les papes le seraient de fait. Ce partage ne nous étonne plus, parce que nous y sommes accoutumés; mais il n'en est pas moins étrange.

Ce qui nous fait voir combien la destinée se joue de l'univers, c'est que celui qui affermit la souveraineté réelle des papes sur les fondements les plus sohdes fut cet Alexandre VI, coupable de tant dhorribles meurtres, commis par les mains de son in-

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