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dans l’empire romain, eût envoyé une ambassade à la Chine par le port d’Arsinoé, par la mer Rouge et par l’Océan indien. L’empereur Iventi, premier du nom, régnait alors; les annales de la Chine nous le représentent comme un prince très-sage et très-savant. Après avoir reçu les ambassadeurs de César avec toute la politesse chinoise, il s’informe secrètement, par ses interprètes, des usages, des sciences, et de la religion de ce peuple romain, aussi célèbre dans l’Occident que le peuple chinois l’est dans l’Orient. Il apprend d’abord que les pontifes de ce peuple ont réglé leurs années d’une manière si absurde que le soleil est déjà entré dans les signes célestes du printemps lorsque les Romains célèbrent les premières fêtes de l’hiver.

Il apprend que cette nation entretient à grands frais un collège de prêtres qui savent au juste le temps où il faut s’embarquer, et où l’on doit donner bataille, par l’inspection du foie d’un bœuf, ou par la manière dont les poulets mangent de l’orge. Cette science sacrée fut apportée autrefois aux Romains par un petit dieu nommé Tagès, qui sortit de terre en Toscane.

Ces peuples adorent un Dieu suprême et unique, qu’ils appellent toujours Dieu très-grand et très-bon ; cependant ils ont bâti un temple à une courtisane nommée Flora, et les bonnes femmes de Rome ont presque toutes chez elles de petits dieux pénates hauts de quatre ou cinq pouces. Une de ces petites divinités est la déesse des tétons, l’autre celle des fesses ; il y a un pénate qu’on appelle le dieu Pet. L’empereur se met à rire ; les tribunaux de Nankin pensent d’abord avec lui que les ambassadeurs romains sont des fous ou des imposteurs qui ont pris le titre d’envoyés de la république romaine ; mais, comme l’empereur est aussi juste que poli, il a des conversations particulières avec les ambassadeurs ; il apprend que les pontifes romains ont été très-ignorants, mais que César réforme actuellement le calendrier. On lui avoue que le collège des augures a été établi dans les premiers temps de la barbarie, qu’on a laissé subsister une institution ridicule, devenue chère à un peuple longtemps grossier ; que tous les honnêtes gens se moquent des augures ; que César ne les a jamais consultés 1 ; qu’au rapport d’un très-grand homme, nommé

1. M. J.-V. Leclerc, page 8 du tome XXVI de son édition de Cicéron, fait remarquer que le traité De Divinatione ne fut composé qu’après la mort de César (voyez ce traité même, II, 9, 54, etc.); que César consultait les augures, les aruspices, et même les tireurs d’horoscope (voyez ibid., I, 52 ; II, 47, etc.). « Mais, ajoute M. Leclerc, Voltaire appelait pédants ceux qui voulaient tant d’exactitude dans une plaisanterie, et peut-être avait-il raison. » (B.)