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REMARQUES DE L’ESSAI

n’avaient jamais su seulement former une voûte ; qu’ils ignoraient la coupe des pierres ; que toute leur architecture consistait à poser de longues pierres plates sur des piliers sans proportion ; que l’ancienne Égypte n’a jamais eu une statue tolérable que de la main des Grecs ; que ni les Grecs ni les Romains n’ont jamais daigné traduire un seul livre des Égyptiens ; que les éléments de géométrie composés dans Alexandrie le furent par un Grec, etc. Cette dame philosophe n’aperçut dans les lois de l’Égypte que celles d’un peuple très-borné : elle sut que, depuis Alexandre, cette nation fut toujours subjuguée par quiconque voulut la soumettre ; elle admira le pinceau de Bossuet, et trouva son tableau très-infidèle.

On a encore les remarques qu’elle mit aux marges de ce livre. On trouve à la page 341 ces propres mots : « Pourquoi l’auteur dit-il que Rome engloutit tous les empires de l’univers ? La Russie seule est plus grande que tout l’empire romain. »

Elle se plaignit qu’un homme si éloquent oubliât en effet l’univers dans une histoire universelle, et ne parlât que de trois ou quatre nations qui sont aujourd’hui disparues de la terre.

Ce qui la choqua le plus, ce fut de voir que ces trois ou quatre nations puissantes sont sacrifiées dans ce livre au petit peuple juif, qui occupe les trois quarts de l’ouvrage. On voit en marge, à la fin du discours sur les Juifs, cette note de sa main : « On peut parler beaucoup de ce peuple en théologie, mais il mérite peu de place dans l’histoire. »

En effet, quelle attention peut s’attirer par elle-même une nation faible et barbare, qui ne posséda jamais un pays comparable à une de nos provinces, qui ne fut célèbre ni par le commerce ni par les arts, qui fut presque toujours séditieuse et esclave, jusqu’à ce qu’enfin les Romains la dispersèrent, comme depuis les vainqueurs mahométans dispersèrent les Parsis, peuple si supérieur aux Juifs, longtemps leur souverain, et d’une antiquité beaucoup plus grande ?

Il semblait surtout fort étrange que les mahométans, qui ont changé la face de l’Asie, de l’Afrique, et de la plus belle partie de l’Europe, fussent oubliés dans l’histoire du monde. L’Inde, dont notre luxe a un si grand besoin, et où tant de nations puissantes de l’Europe se sont établies, ne devait pas être passée sous silence.

Enfin cette dame, d’un esprit si solide et si éclairé, ne pouvait pas souffrir qu’on s’étendît sur les habitants obscurs de la Palestine, et qu’on ne dît pas un mot du vaste empire de la Chine, le plus ancien du monde entier, et le mieux policé sans doute, puis-