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REMARQUES DE L’ESSAI

ment, ni des lois, ni des opinions ; ce qui n’est pas bien extraordinaire dans un temps où il n’y avait d’opinions que les légendes des moines, et de lois que celles du brigandage. Telle est l’histoire de Clovis et de ses successeurs.

Quelle connaissance certaine et utile peut-on tirer des aventures imputées à Caribert, à Chilpéric, et à Clotaire ? Il ne reste de ces temps misérables que des couvents fondés par des superstitieux, qui croyaient racheter leurs crimes en dotant l’oisiveté.

Rien ne la révoltait plus que la puérilité de quelques écrivains qui pensent orner ces siècles de barbarie, et qui donnent le portrait d’Agilulphe et de Grifon comme s’ils avaient Scipion et César à peindre. Elle ne put souffrir, dans Daniel, ces récits continuels de batailles, tandis qu’elle cherchait l’histoire des états généraux, des parlements, des lois municipales, de la chevalerie, de tous nos usages, et surtout de la société autrefois sauvage, et aujourd’hui civilisée. Elle cherchait dans Daniel l’histoire du grand Henri IV, et elle y trouvait celle du jésuite Coton[1] ; elle voyait dans cet écrivain le père de saint Louis attaqué d’une maladie mortelle, ses courtisans lui proposant une jeune fille comme une guérison infaillible, et ce prince mourant martyr de sa chasteté. Ce conte, tant de fois répété, rapporté longtemps auparavant de tant de princes, démenti par la médecine et par la raison, était gravé, dans Daniel, au devant de la vie de Louis VIII.

Elle ne pouvait comprendre comment un historien qui a du sens pouvait dire, après tant d’autres mal instruits, que les mameluks voulurent choisir en Égypte, pour leur roi, saint Louis, prince chrétien, leur ennemi, l’ennemi de leur religion, leur prisonnier, qui ne connaissait ni leur langue ni leurs mœurs. On lui disait que ce fait est dans Joinville ; mais il n’y est rapporté que comme un bruit populaire[2] et elle ne pouvait savoir que n’avons pas la véritable histoire de Joinville[3].

La fable du Vieux de la montagne qui dépêchait deux dévots du mont Liban pour aller vite assassiner saint Louis dans Paris, et qui le lendemain, sur le bruit de ses vertus, en faisait partir deux autres pour arrêter la pieuse entreprise des deux premiers, lui paraissait fort au-dessous des Mille et une Nuits.

  1. Ou plutôt Cotton, le confesseur de Henri IV.
  2. Voyez tome XI, page 471.
  3. On en a retrouvé depuis, en 1748, un manuscrit qui, par le style et les caractères, paraît du siècle de Joinville ; il a été imprimé à l’Imprimerie royale, en 1761, in-folio. (K.)