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dont on l’adore ne peut le flatter ni l’offenser, pourvu que cette adoration ne soit ni supertitieuse envers lui, ni barbare envers les hommes.

N’est-ce pas, en effet, offenser Dieu que de penser qu’il choisisse une petite nation chargée de crimes pour sa favorite, afin de damner toutes les autres ; que l’assassin d’Urie[1] soit son bien-aimé, et que le pieux Antouin lui soit en horreur ? N’est-ce pas la plus grande absurdité de penser que l’Être suprême punira à jamais un caloyer pour avoir mangé du lièvre, ou un Turc pour avoir mangé du porc ? Il y a eu des peuples qui ont mis, dit-on, les oignons au rang des dieux ; il y en a d’autres qui ont prétendu qu’un morceau de pâte était changé en autant de dieux que de miettes. Ces deux extrêmes de la démence humaine font également pitié ; mais que ceux qui adoptent ces rêveries osent persécuter ceux qui ne les croient pas, c’est là ce qui est horrible. Les anciens Parsis, les Sabéens, les Égyptiens, les Grecs, ont admis un enfer : cet enfer est sur la terre, et ce sont les persécuteurs qui en sont les démons.

LE CALOYER.

Je déteste la persécution, la contrainte, autant que vous ; et, grâce au ciel, je vous ai déjà dit que les Turcs, sous qui je vis en paix, ne persécutent personne.

L’HONNÊTE HOMME.

Ah ! puissent tous les peuples d’Europe suivre l’exemple des Turcs !

LE CALOYER.

Mais j’ajoute qu’étant caloyer je ne puis vous proposer d’autre religion que celle que je professe au mont Athos.

L’HONNÊTE HOMME.

Et moi, j’ajoute qu’étant homme je vous propose la religion qui convient à tous les hommes, celle de tous les patriarches, et de tous les sages de l’antiquité, l’adoration d’un Dieu, la justice, l’amour du prochain, l’indulgence pour toutes les erreurs et la bienfaisance dans toutes les occasions de la vie. C’est cette religion, digne de Dieu, que Dieu a gravée dans tous les cœurs ; mais certes il n’y a pas gravé que trois font un, qu’un morceau de pain est l’Éternel, et que l’ânesse de Balaam a parlé.

LE CALOYER.

Ne m’empêchez pas d’être caloyer.

  1. David ; voyez IIer livre des Rois, chapitre xi.