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opéré ces prodiges, c’eût été pour faire connaître sa divinité. Songez-vous bien ce que c’est que d’accuser Dieu de s’être fait homme inutilement, et d’avoir ressuscité des morts pour être pendu ? Quoi ! des milliers de miracles en faveur des Juifs pour les rendre esclaves, et des miracles de Jésus pour faire mourir Jésus en croix ! Il y a de l’imbécillité à le croire, et une fureur bien criminelle à l’enseigner quand on ne le croit pas,

LE CALOYER.

Je ne nie pas que vos objections ne soient fondées, et je sens que vous raisonnez de bonne foi ; mais enfin convenez qu’il faut une religion aux hommes.

L’HONNÊTE HOMME.

Sans doute, l’âme demande cette nourriture ; mais pourquoi la changer en poison ? Pourquoi étouffer la simple vérité dans un amas d’indignes mensonges ? pourquoi soutenir ces mensonges par le fer et par les flammes ? Quelle horreur infernale ! Ah ! si votre religion était de Dieu, la soutiendriez-vous par des bourreaux ? Le géomètre a-t-il besoin de dire : Crois, ou je te tue ? La religion entre l’homme et Dieu est l’adoration et la vertu ; c’est entre le prince et ses sujets une affaire de police ; ce n’est que trop souvent d’homme à homme qu’un commerce de fourberie. Adorons Dieu sincèrement, simplement, et ne trompons personne. Oui, il faut une religion ; mais il la faut pure, raisonnable, universelle : elle doit être comme le soleil, qui est pour tous les hommes et non pas pour quelque petite province privilégiée. Il est absurde, odieux, abominable, d’imaginer que Dieu éclaire tous les yeux, et qu’il plonge presque toutes les âmes dans les ténèbres. Il n’y a qu’une probité commune à tout l’univers : il n’y a donc qu’une religion. Et quelle est-elle ? vous le savez : c’est d’adorer Dieu et d’être juste.

LE CALOYER.

Mais comment croyez-vous donc que ma religion s’est établie ?

L’HONNÊTE HOMME.

Comme toutes les autres. Un homme d’une imagination forte se fait suivre par quelques personnes d’une imagination faible. Le troupeau s’augmente : le fanatisme commence ; la fourberie achève. Un homme puissant vient ; il voit une foule qui s’est mis une selle sur le dos et un mors à la bouche ; il monte sur elle et la conduit. Quand une fois la religion nouvelle est reçue dans l’État, le gouvernement n’est plus occupé qu’à proscrire tous les moyens par lesquels elle s’est établie. Elle a commencé par des assemblées secrètes ; on les défend.