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je ne me suis consolé que quand j’en ai vu l’impossibilité et le ridicule.

Puisque vous me permettez de vous expliquer mes pensées, je continue, et je dis que je n’ai trouvé aucune trace du christianisme dans l’histoire de Jésus. Les quatre Évangiles qui nous restent sont en opposition sur plusieurs faits ; mais ils attestent uniformément que Jésus fut soumis à la loi de Moïse depuis le moment de sa naissance jusqu’à celui de sa mort. Tous ses disciples fréquentèrent la synagogue : ils prêchaient une réforme ; mais ils n’annonçaient pas une religion différente ; les chrétiens ne furent absolument séparés des Juifs que longtemps après. Dans quel temps précis Dieu voulut-il donc qu’on cessât d’être Juif et qu’on fût chrétien ? Qui ne voit que le temps a tout fait, que tous les dogmes sont venus les uns après les autres ?

Si Jésus avait voulu établir une Église chrétienne, n’en eût-il pas enseigné les lois ? N’aurait-il pas lui-même établi tous les rites ? N’aurait-il pas annoncé les sept sacrements, dont il ne parle pas ? N’aurait-il pas dit : Je suis Dieu, engendré et non fait ; le Saint-Esprit procède de mon père sans être engendré ; j’ai deux volontés et une personne ; ma mère est mère de Dieu ? Au contraire, il dit à sa mère[1] : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? » Il n’établit ni dogme, ni rite, ni hiérarchie ; ce n’est donc pas lui qui a fait sa religion.

Quand les premiers dogmes commencent à s’établir, je vois les chrétiens soutenir ces dogmes par des livres supposés ; ils imputent aux sibylles des vers acrostiches sur le christianisme[2] ; ils forgent des histoires, des prodiges, dont l’absurdité est palpable. Telle est, par exemple, l’histoire de la nouvelle ville de Jérusalem bâtie dans l’air, dont les murailles avaient cinq cents lieues de tour et de hauteur, qui se promenait sur l’horizon pendant toute la nuit, et qui disparaissait au point du jour ; telle est la querelle de Pierre et de Simon le Magicien devant Néron[3] ; tels sont cent contes non moins absurdes.

Que de miracles puérils on a forgés ! Que de faux martyres, que de légendes ridicules ! Portenta judaica rides.

Comment celui qui a écrit la légende de Luc, sous le nom de bonne nouvelle[4], a-t-il eu le front de dire, au chap. xxi[5], que la

  1. Jean, ii, 4.
  2. Voyez tome XI, page 89.
  3. Voyez, dans la Collection d’anciens Évangiles, la Relation de Marcel.
  4. Voltaire dit ailleurs (t. XVIII, p. 205) qu’Évangile signifie bonne nouvelle.
  5. Versets 25, 26, 27, 32.