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mépris tous ces chrétiens que cependant ils tolèrent. Les Juifs ont également en exécration les chrétiens et les musulmans ; les guèbres les méprisent tous ; et le peu qui reste des sabéens ne voudraient manger avec aucun de ceux que je vous ai nommés ; le brame ne peut souffrir ni sabéens, ni guèbres, ni chrétiens, ni mahométans, ni juifs.

J’ai cent fois souhaité que Jésus-Christ, en venant s’incarner en Judée, eût réuni toutes ces sectes sous ses lois. Je me suis demandé pourquoi, étant Dieu, il n’a pas usé des droits de la divinité ; pourquoi, en venant nous délivrer du péché, il nous a laissés dans le péché ; pourquoi, en venant éclairer tous les hommes, il a laissé presque tous les hommes dans l’erreur ?

Je sais que je ne suis rien, je sais que du fond de mon néant je ne dois pas interroger l’Être des êtres ; mais il m’est permis, comme à Job, d’élever mes respectueuses plaintes du sein de ma misère.

Que voulez-vous que je pense quand je vois deux généalogies[1] de Jésus directement contraires l’une à l’autre ; et que ces généalogies, qui sont si différentes dans les noms et dans le nombre de ses ancêtres, ne sont pourtant pas la sienne, mais celle de son père Joseph, qui n’est pas son père ?

Je donne la torture à mon esprit pour comprendre comment un Dieu est mort. Je lis les livres sacrés et les profanes de ces temps-là ; un seul de ces livres sacrés[2] me dit qu’une étoile nouvelle parut en Orient, et conduisit des mages aux pieds de Dieu, qui venait de naître. Aucun profane ne parle de cet événement à jamais mémorable, qui semble devoir avoir été aperçu par la terre entière, et marqué dans les fastes de tous les États. Un évangéliste[3] me dit qu’un roi nommé Hérode, à qui les Romains, maîtres du monde connu, avaient donné la Judée, entendit dire que l’enfant qui venait de naître dans une étable devait être roi des Juifs ; mais comment, et à qui, et sur quel fondement entendit-il dire cette étrange nouvelle ? Est-il possible que ce roi, qui n’avait pas perdu le sens, ait imaginé de faire égorger tous les petits enfants du pays pour envelopper dans le massacre un enfant obscur ? Y a-t-il un exemple sur la terre d’une fureur si abominable et si insensée ?

Je vois que les Évangiles qui nous restent se contredisent presque à chaque page. J’ouvre l’histoire de Josèphe, auteur

  1. Matthieu, chapitre i ; et Luc, chapitre iii. Voyez aussi tome XIX, p. 217.
  2. Matthieu, ii, 2.
  3. Ibid., 3.