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couche trois cent quatre-vingt-dix jours sur le côté gauche, et quarante sur le côté droit, qui mange un livre de parchemin, qui couvre son pain d’excréments d’hommes, et ensuite de bouse de vache ; Oolla et Ooliba, qui établissent un bordel[1] et à qui Dieu dit qu’elles n’aiment que les membres d’un âne et le sperme d’un cheval. Certainement si le lecteur n’est pas instruit des usages du pays et de la manière de prophétiser, il peut craindre d’être scandalisé ; et quand il voit Élisée faire dévorer quarante[2] enfants par des ours, pour l’avoir appelé tête chauve, un châtiment si peu proportionné à l’offense peut lui inspirer plus d’horreur que de respect.

Pardonnez-moi donc si les livres juifs m’ont causé quelque embarras. Je ne veux pas avilir l’objet de votre vénération ; j’avoue même que je peux me tromper sur les choses de bienséance et de justice, qui ne sont peut-être pas les mêmes dans tous les temps ; je me dis que nos mœurs sont différentes de celles de ces siècles reculés ; mais peut-être aussi la préférence que vous avez donnée au Nouveau Testament sur l’Ancien peut servir à justifier mes scrupules. Il faut bien que la loi des Juifs ne vous ait pas paru bonne, puisque vous l’avez abandonnée : car si elle était réellement bonne, pourquoi ne l’auriez-vous pas toujours suivie ? et, si elle était mauvaise, comment était-elle divine ?

LE CALOYER.

L’Ancien Testament a ses difficultés. Mais vous m’avouez donc que le Nouveau Testament ne fait pas naître eu vous les mêmes doutes et les mêmes scrupules que l’Ancien ?

L’HONNÊTE HOMME.

Je les ai lus tous deux avec attention ; mais souffrez que je vous expose les inquiétudes où me jette mon ignorance. Vous les plaindrez et vous les calmerez.

Je me trouve ici avec des chrétiens arméniens qui disent qu’il n’est pas permis de manger du lièvre ; avec des Grecs qui assurent que le Saint-Esprit ne procède point du Fils ; avec des nestoriens qui nient que Marie soit mère de Dieu ; avec quelques Latins qui se vantent qu’au bout de l’Occident les chrétiens d’Europe pensent tout autrement que ceux d’Asie et d’Afrique. Je sais que dix ou douze sectes en Europe s’anathématisent les unes les autres ; les musulmans qui m’entourent regardent d’un œil de

  1. C’est dans le chapitre xxii qu’Ézéchiel parle d’Oolla et d’Ooliba ; c’est au chapitre xvi, verset 20, qu’il avait parlé de lupanar. La fin de la phrase, depuis le mot Oolla, a été ajoutée dans le Recueil nécessaire. (B.)
  2. Le quatrième livre des Rois, ii, 24, dit quarante-deux.