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fondent sur ce qu’il y est parlé des rois, et qu’il n’y eut de rois que longtemps après Moïse ; sur la position des villes, qui est fausse si le livre fut écrit dans le désert, et vraie s’il fut écrit à Jérusalem ; sur les noms de villes ou de bourgades dont il est parlé, et qui ne furent fondées ou appelées du nom qu’on leur donne qu’après plusieurs siècles, etc.

3° Ce qui peut un peu effaroucher dans les écrits attribués à Moïse, c’est que l’immortalité de l’âme, les récompenses et les peines après la mort, sont entièrement inconnues dans l’énoncé de ses lois. Il est étrange qu’il ordonne la manière dont on doit faire ses déjections, et ne parle en nul endroit de l’immortalité de l’âme. Serait-il possible que Moïse[1], inspiré de Dieu, eût préféré nos derrières à nos esprits[2] ; qu’il eût prescrit la façon d’aller à la garde-robe dans le camp Israélite, et qu’il n’eût pas dit un seul mot de la vie éternelle ? Zoroastre, antérieur au législateur juif, dit[3] : Honorez, aimez vos parents, si vous voulez avoir la vie éternelle ; et le Décalogue dit[4] : Honore père et mère, si tu veux vivre longtemps sur la terre ; il me semble que Zoroastre parle en homme divin, et Moïse en homme terrestre.

4° Les événements racontés dans le Pentateuque étonnent ceux qui ont le malheur de ne juger que par leur raison, et dans qui cette raison aveugle n’est pas éclairée par une grâce particulière. Le premier chapitre de la Genèse est si au-dessus de nos conceptions qu’il fut défendu chez les Juifs de le lire avant vingt-cinq ans.

On voit avec un peu de surprise que Dieu vienne se promener tous les jours à midi dans le jardin d’Éden ; que les sources de quatre fleuves, éloignées prodigieusement les unes des autres, forment une fontaine dans ce même jardin ; que le serpent parle à Eve, attendu qu’il est le plus subtil des animaux, et qu’une ânesse[5], qui ne passe pas pour si subtile, parle aussi plusieurs siècles après[6], que Dieu ait séparé la lumière des ténèbres, comme si les ténèbres étaient quelque chose de réel ; qu’il ait fait la lumière, qui émane du soleil, avant le soleil lui-même ; qu’après avoir fait l’homme et la femme, il ait ensuite tiré la femme d’une côte de l’homme, qu’il ait mis de la chair à la place

  1. Cette phrase a été ajoutée dans le Recueil nécessaire. (B.)
  2. Deutéronome, chapitre xxiii, versets 12, 13 et 14. (Note de Voltaire.)
  3. Voyez le Sadder. (Id.)
  4. Exode, XX, 12.
  5. Nombres, xxii, 28.
  6. La fin de cet alinéa a été ajoutée dans le Recueil nécessaire. (B.)