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SERMON DES CINQUANTE.

font après que leur ville a été consumée par une pluie de feu, et que leur mère a été changée en une statue de sel, c’est d’enivrer leur père[1] deux nuits de suite pour coucher avec lui l’une après l’autre : cela est imité de l’ancienne fable arabique de Cyniras et de Myrrha ; mais, dans cette fable bien plus honnête, Myrrha est punie de son crime, au lieu que les filles de Loth sont récompensées par la plus grande et la plus chère des bénédictions selon l’esprit juif, elles sont mères d’une nombreuse postérité.

Nous n’insisterons point sur le mensonge d’Isaac, père des justes, qui dit que sa femme est sa sœur[2], soit qu’il ait renouvelé ce mensonge d’Abraham[3], soit qu’Abraham fût coupable en effet d’avoir fait de sa sœur sa propre femme ; mais arrêtons-nous un moment au patriarche Jacob, qu’on nous donne comme le modèle des hommes. Il force son frère, qui meurt de faim, de lui céder son droit d’aînesse pour une assiette de lentilles[4] ; ensuite il trompe son vieux père au lit de la mort[5], après avoir trompé son père, il trompe et vole son beau-père Laban[6] : c’est peu d’épouser deux sœurs, il couche avec toutes ses servantes[7] ; et Dieu bénit cette incontinence et ces fourberies. Quelles sont les actions des enfants d’un tel père ? Dina sa fille plaît à un prince de Sichem, et il est vraisemblable qu’elle aime ce prince, puisqu’elle couche avec lui ; le prince la demande en mariage, on la lui accorde à condition qu’il se fera circoncire, lui et son peuple. Ce prince accepte la proposition ; mais, sitôt que lui et les siens se sont fait cette opération douloureuse, qui pourtant leur devait laisser assez de forces pour se défendre, la famille de Jacob égorge tous les hommes de Sichem, et fait esclaves les femmes et les enfants.

Nous avons, dans notre enfance, entendu l’histoire de Thyeste et de Pélopée ; cette incestueuse abomination est renouvelée dans Juda, le patriarche et le père de la première tribu : il couche avec sa belle-fille, ensuite il veut la faire mourir. Ce livre, après cela, suppose que Joseph, un enfant de cette famille errante, est vendu en Égypte, et que cet étranger y est établi premier ministre pour avoir expliqué un songe. Mais quel premier ministre qu’un homme qui, dans un temps de famine, oblige toute une nation de se faire esclave pour avoir du pain ! Quel magistrat parmi nous, dans un temps de famine, oserait proposer un marché si abominable ? et quelle nation accepterait cet infâme marché ? N’exami-

  1. Genèse, xix, 32 et suiv.
  2. Ibid., xxvi.
  3. Ibid., xx, 2.
  4. Ibid., xxv, 34.
  5. Genèse, xxvii, 24.
  6. Ibid., xxxi.
  7. Ibid., xxx.