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Il avance, en parlant de la condition des femmes dans les divers gouvernements, ou plutôt en promettant d’en parler, que chez les Grecs[1], l’amour n’avait qu’une forme que l’on n’ose dire. Il n’hésite pas à prendre Plutarque même pour son garant. Il fait dire à Plutarque que les femmes n’ont aucune part au véritable amour. Il ne fait pas réflexion que Plutarque fait parler plusieurs interlocuteurs ; il y a un Protogène qui déclame contre les femmes, mais Daphneus prend leur parti ; Plutarque décide pour Daphneus. Il fait un très-bel éloge de l’amour céleste et de l’amour conjugal ; il finit par rapporter plusieurs exemples de la fidélité et du courage des femmes. C’est même dans ce dialogue qu’on trouve l’histoire de Camma et celle d’Éponine, femme de Sabinus, dont les vertus ont servi de sujet à des pièces de théâtre.

Enfin il est clair que Montesquieu, dans l’Esprit des lois, a calomnié l’esprit de la Grèce en prenant une objection que Plutarque réfute pour une loi que Plutarque recommande.

LIV.

«[2]Les cadis ont soutenu que le Grand Seigneur n’est point obligé de tenir sa parole et son serment lorsqu’il borne par là son autorité. »

Ricaut, cité en cet endroit, dit seulement, page 18 de l’édition d’Amsterdam, 1671 : « Il y a même de ces gens-là qui soutiennent que le Grand Seigneur peut se dispenser des promesses qu’il a faites avec serment, quand, pour les accomplir, il faut donner des bornes à son autorité. »

Ce discours est bien vague. Le sultan des Turcs ne peut promettre qu’à ses sujets ou aux puissances voisines. Si ce sont des promesses à ses sujets, il n’y a point de serment ; si ce sont des traités de paix, il faut qu’il les tienne comme les autres princes, ou qu’il fasse la guerre. L’Alcoran ne dit en aucun endroit qu’on peut violer son serment, et il dit en cent endroits qu’il faut le garder. Il se peut que pour entreprendre une guerre injuste, comme elles le sont presque toutes, le Grand Turc assemble un conseil de conscience, comme ont fait plusieurs princes chrétiens, afin de faire le mal en conscience. Il se peut que quelques docteurs musulmans aient imité les docteurs catholiques qui ont dit qu’il ne faut garder la foi ni aux infidèles, ni aux hérétiques. Mais il reste à savoir si cette jurisprudence est celle des Turcs.

  1. Livre VII, chap. x. (Note de Voltaire.)
  2. Livre III, chap. ix. (Id.)