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faut un frein à l’autorité et à la liberté ; qu’on doit tenir la balance égale. Mais où est le point d’appui ? qui le fixera ? Ce sera le chef-d’œuvre de la raison et de l’impartialité.

LI.

Les exemples sont trompeurs, les inductions qu’on en tire sont souvent mal appliquées ; les citations pour faire valoir ces inductions sont souvent fausses. « La nature de l’honneur, dit Montesquieu, est de demander des préférences, des distinctions. L’honneur est donc, par la chose même, placé dans le gouvernement monarchique[1]. » L’auteur oublie que dans la république romaine on demandait le consulat, le triomphe, des ovations, des couronnes, des statues. Il n’y a si petite république où l’on ne recherche les honneurs.

LII.

Cet homme supérieur dans ses pensées ingénieuses et profondes, brillant d’une lumière qui l’éblouit, n’a pu asservir son génie à l’ordre et à la méthode nécessaires. Son grand feu empêche que les objets ne soient nets et distincts ; et quand il cite, il prend presque toujours son imagination pour sa mémoire. Il prétend que, dans le testament attribué au cardinal de Richelieu, il est dit[2] que « si dans le peuple il se trouve quelque malheureux honnête homme, il ne faut point s’en servir, tant il est vrai que la vertu n’est pas le ressort du gouvernement monarchique ».

Le testament faussement attribué au cardinal de Richelieu dit précisément tout le contraire. Voici ses paroles au chapitre iv : « On peut dire hardiment que de deux personnes dont le mérite est égal, celle qui est la plus aisée en ses affaires est préférable à l’autre, étant certain qu’il faut qu’un pauvre magistrat ait l’âme d’une trempe bien forte si elle ne se laisse quelquefois amollir par la considération de ses intérêts. Aussi l’expérience nous apprend que les riches sont moins sujets à concussion que les autres, et que la pauvreté contraint un pauvre officier à être fort soigneux du revenu du sac. »

LIII.

Montesquieu, il faut l’avouer, ne cite pas mieux les auteurs grecs que les français. Il leur fait souvent dire à tous le contraire de ce qu’ils ont dit.

  1. Livre III, chap. vii. (Note de Voltaire.)
  2. Ibid., chap. vi. (Id.)