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XLVIII.

Que l’on compare ce que nous étions du temps de notre évêque à ce que nous sommes aujourd’hui. Nous couchions dans des galetas, nous mangions sur des assiettes de bois dans nos cuisines ; notre évêque avait seul de la vaisselle d’argent, et marchait avec quarante chevaux dans son diocèse, qu’il appelait ses États. Aujourd’hui nous avons des citoyens qui ont trois fois son revenu, et nous possédons, à la ville et à la campagne, des maisons beaucoup plus belles que celle qu’il appelait son palais, dont nous avons fait les prisons.

XLIX.

La moitié du terrain de la Suisse est composée de rochers et de précipices, l’autre est peu fertile ; mais quand des mains libres, conduites enfin par des esprits éclairés, ont cultivé cette terre, elle est devenue florissante. Le pays du pape, au contraire, depuis Orviette jusqu’à Terracine, dans l’espace de plus de cent vingt milles de chemin, est inculte, inhabité, et devenu malsain par la disette ; on peut y voyager une journée entière sans y trouver ni hommes ni animaux ; il y a plus de prêtres que de cultivateurs ; on n’y mange guère d’autre pain que du pain azyme. C’est là ce pays qui était couvert, du temps des anciens Romains, de villes opulentes, de maisons superbes, de moissons, de jardins, et d’amphithéâtres. Ajoutons encore à ce contraste que six régiments suisses s’empareraient en quinze jours de tout l’État du pape. Qui aurait fait cette prédiction à César, lorsqu’en passant il vint battre les Suisses au nombre de près de quatre cent mille, l’aurait bien étonné.

L.

Il est peut-être utile qu’il y ait deux partis dans une république, parce que l’un veille sur l’autre, et que les hommes ont besoin de surveillants. Il n’est peut-être pas si honteux qu’on le croit qu’une république ait besoin de médiateurs : cela prouve, à la vérité, qu’il y a de l’opiniâtreté des deux côtés ; mais cela prouve aussi qu’il y a de part et d’autre beaucoup d’esprit, beaucoup de lumières, une grande sagacité à interpréter les lois dans les sens différents ; et c’est alors qu’il faut nécessairement des arbitres qui éclaircissent les lois contestées, qui les changent s’il est nécessaire, et qui préviennent des changements nouveaux autant qu’il est possible. On a dit mille fois que l’autorité veut toujours croître, et le peuple toujours se plaindre ; qu’il ne faut ni céder à toutes ses représentations, ni les rejeter toutes ; qu’il