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se défier de toutes ces règles générales, qui n’existent que sous la plume des auteurs.

XXXI.

Le même écrivain, en parlant des différents systèmes de gouvernement, s’exprime ainsi : « L’un trouve beau qu’on soit craint des voisins ; l’autre aime mieux qu’on en soit ignoré. L’un est content quand l’argent circule ; l’autre exige que le peuple ait du pain[1] »

Tout cet article semble puéril et contradictoire. Comment peut-on être ignoré de ses voisins ? Comment est-on en sûreté si vos voisins ignorent qu’il y a du danger à vous attaquer ? Et comment le même État qui pourrait se faire craindre pourrait-il être ignoré ? Et comment le peuple peut-il avoir du pain sans que l’argent circule ? La contradiction est manifeste.

XXXII.

« À l’instant que le peuple est légitimement assemblé en corps souverain, toute juridiction du gouvernement cesse, la puissance exécutive est suspendue, etc.[2] » Cette proposition du Contrat social serait pernicieuse, si elle n’était d’une fausseté et d’une absurdité évidente. Lorsqu’en Angleterre le parlement est assemblé, nulle juridiction n’est suspendue ; et dans le plus petit État, si pendant l’assemblée il se commet un meurtre, un vol, le criminel est et doit être livré aux officiers de la justice. Autrement une assemblée du peuple serait une invitation solennelle au crime.

XXXIII.

« Dans un État vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent[3]. » Cette thèse du Contrat social n’est qu’extravagante. Il y a un pont à construire, une rue à paver ; faudra-t-il que les magistrats, les négociants et les prêtres, pavent la rue et construisent le pont? L’auteur ne voudrait pas assurément passer sur un pont bâti par leurs mains : cette idée est digne d’un précepteur qui, ayant un jeune gentilhomme à élever,

  1. Voici le texte de J.-J. Rousseau, livre III, chapitre ix : « Les sujets vantent la tranquillité publique ; les citoyens, la liberté des particuliers ; l’un préfère la sûreté des possessions, et l’autre, celle des personnes ; l’un veut que le gouvernement soit le plus sévère, l’autre soutient que c’est le plus doux ; celui-ci veut qu’on punisse les crimes, et celui-là, qu’on les prévienne ; l’un trouve beau qu’on soit craint des voisins, l’autre aime mieux qu’on en soit ignoré ; l’un est content quand l’argent circule, l’autre exige que le peuple ait du pain. »
  2. Livre III, chap. xiv.
  3. Livre III, chap. xv.