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388 MÉMOIRE

m'a dit que la loi l'ordonne'. Quelques témoins ont dit que ce procès- verbal, fait à l'hôtel de ville, était daté de la maison du mort; ce serait une grande preuve del'animositéqui a perdu ma famille. Mais qu'importe que le juge en premier ressort ait com- mis cette faute ? nous ne prétendons accuser personne ; ce n'est pas cette irrégularité seule qui nous a été fatale.

Ces premiers juges ne balançaient pas entre un suicide, qui est rare en ce pays, et un parricide, qui est encore mille fois plus rare. Ils croyaient le parricide ; ils le supposaient sur le change- ment prétendu de religion que le mort devait faire ; et on va vi- siter ses papiers, ses livres, pour voir s'il n'y avait pas quelque preuve de ce changement ; on n'en trouve aucune.

Enfin un chirurgien, nommé Lamarque, est nommé pour ouvrir l'estomac de mon frère, et pour faire rapport s'il y a trouvé des restes d'aliments. Son rapport dit que les aliments ont été pris quatre heures avant sa mort. Il se trompait évidemment de plus de deux. Il est clair qu'il voulait se faire valoir en prononçant quel temps il faut pour la digestion, que la diversité des tempé- raments rend plus ou moins lente. Cette petite erreur d'un chi- rurgien devait-elle préparer le supplice de mon père? La vie des hommes dépend donc d'un mauvais raisonnement!

Il n'y avait point de preuve contre mes parents, et il ne pou- vait y en avoir aucune : on eut incontinent recours à un moni- toire. Je n'examine pas si ce monitoire était dans les règles ; on y supposait le crime, et ou demandait la révélation des preuves. On supposait Lavaisse mandé de Bordeaux pour être bourreau, et on supposait l'assemblée tenue pour élire ce bourreau le jour même de l'arrivée de Lavaisse, 13 octobre. Ou imaginait que quand on étrangle quelqu'un pour cause de religion on le fait mettre à genoux; et on demandait si l'on n'avait pas vu le malheureux Marc-Antoine Calas à genoux devant son père, qui l'étranglait, pendant la nuit, dans un endroit où il n'y avait point de lumière.

Ou était sûr que mon frère était mort catholique, et l'on de- mandait des preuves de sa catholicité, quoiqu'il soit bien prouvé que mon frère n'avait point changé de religion, et n'en voulait point changer. On était surtout persuadé que la maxime de tous les protestants est d'étrangler leur fils, dès qu'ils ont le moiiulre soupçon que leur fils veut être catholique; et ce fanatisme fut porté au point ([uc toute l'Église de Genève se crut obligée d'en-

1. OidoiiiKiiice do 1070, url. i'"", litre iv. (A'ote de Voltaire.)

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