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DE DONAT CALAS. 385

mémoire de mon père. Notre cause est celle de toutes les familles ; c'est celle de la nature : elle intéresse l'État, la reli- gion, et les nations voisines.

Mon père, Jean Calas, était un négociant établi à Toulouse depuis quarante ans. Ma mère est Anglaise ; mais elle est, par son aïeule, de la maison de La Garde-Montesquieu, et tient à la principale noblesse du Languedoc. Tous deux ont élevé leurs enfants avec tendresse; jamais aucun de nous n'a essuyé d'eux ni coups ni mauvaise humeur : il n'a peut-être jamais été de meilleurs parents.

S'il fallait ajouter à mon témoignage des témoignages étran- gers, j'en produirais plusieurs ^

Tous ceux qui ont vécu avec nous savent que mon père ne nous a jamais gênés sur le choix d'une religion : il s'en est tou- jours rapporté à Dieu et à notre conscience. Il était si éloigné de ce zèle amer qui indispose les esprits qu'il a toujours eu dans sa maison une servante catholique.

Cette servante très-pieuse contribua à la conversion d'un de mes frères, nommé Louis : elle resta auprès de nous après cette action ; on ne lui fit aucuns reproches. Il n'y a point de plus forte preuve de la bonté du fœur de mes parents.

Mon père déclara en présence de son fils Louis, devant M. de Lamotte, conseiller au parlement, que « pourvu que la conver- sion de son fils fût sincère, il ne pouvait la désaprouver, parce que de gêner les consciences ne sert qu'à faire des hypocrites ». Ce furent ses propres paroles, que mon frère Louis a consignées dans une déclaration publique, au temps de notre catastrophe.

Mon père lui fit une pension de quatre cents livres, et jamais aucun de nous ne lui a fait le moindre reproche de son change- ment. Tel était l'esprit de douceur et d'union que mon père et ma mère avaient établi dans notre famille. Dieu la bénissait ; nous jouissions d'un bien honnête; nous avions des amis ; et pendant quarante ans notre famille n'eut dans Toulouse ni procès

1. J'atteste devant Dieu que j'ai demeuré pendant quatre ans à Toulouse, chez les sieur et dame Calas; que je n'ai jamais vu une famille plus unie, ni un père plus tendre, et que, dans l'espace de quatre années, il ne s'est pas mis une fois en colère; que si j'ai quelques sentiments d'honneur, de droiture, et de modéra- tion, je les dois à l'éducation que j'ai reçue chez lui.

Genève, 5 juillet 1762.

Signé : J, C\lvet, caissier des postes de Suisse, d'Allemagne, et d'Italie.

{Note de Voltaire.) 24. — Mélanges. III. 23

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