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368 PIECES ORIGINALES

Lorsque mon fils aîné eut fait l'emplette du fromage, l'heure du souper arrivée*, tout le moude se rendit pour se mettre à table, et nous nous y plaçâmes. Durant le souper, qui ne fut pas fort long, on s'entretint de choses indifférentes, et entre autres des antiquités de l'hôtel de ville ; et mon cadet, Pierre, voulut en citer quelques-unes, et son frère le reprit, parce qu'il ne les racontait pas bien ni juste.

Lorsque nous fûmes au dessert, ce malheureux enfant, je veux dire mon fils aîné Marc-Antoine, se leva de table, comme c'était sa coutume, et passa à la cuisine ^ La servante lui dit: « Avez- vous froid, monsieur l'aîné ? chauffez-vous. » Il lui ré- pondit : « Bien au contraire, je brûle » ; et sortit. Nous restâmes encore quelques moments à table; après quoi nous passâmes dans cette chambre que vous connaissez, et où vous avez couché', M. Lavaisse, mon mari, mon fils, et moi; les deux premiers se mirent sur le sofa, mon cadet sur un fauteuil, et moi sur une chaise, et là nous fîmes la conversation tous ensemble. Mon fils cadet s'endormit ; et environ sur les neuf heures trois quarts à dix heures, M. Lavaisse prit congé de nous, et nous réveillâmes mon cadet pour aller accompagner ledit Lavaisse, lui remettant le flambeau à la main pour lui faire lumière; et ils descendirent ensemble.

Mais lorsqu'ils furent en bas, l'instant d'après nous enten- dîmes de grands cris d'alarme, sans distinguer ce que l'on disait, auxquels mon mari accourut, et moi, je demeurai tremblante sur la galerie, n'osant descendre, et ne sachant pas ce que ce pou- vait être.

Cependant, ne voyant personne venir, je me déterminai de descendre : ce que je fis ; mais je trouvai au bas de l'escalier M. Lavaisse, à qui je demandai avec précipitation qu'est-ce qu'il y avait. Il me répondit qu'il me suppliait de remouter, que je le saurais; et il me fit tant d'instances que je remontai avec lui dans ma chambre. Sans doute que c'était pour m'épargner la douleur devoir mon fils dans cet état, et il redescendit; mais l'incertitude où j'étais était un état trop violent pour pouvoir y rester long- temps ; j'appelle donc ma servante, et lui dis: «Jeannette, allez voir ce qu'il y a là-bas ; je ne sais pas ce que c'est, je suis toute tremblante » ; et jelui mis la chandelle à la main, et elle descendit;

1. Sur les sept heures. (A'oie de Voltaire.)

'2. La cuisine est auprùs de lu salle à manger, au premier étage. {Id.) 3. On voit par cette phrase que la lettre est adressée à un des deux négo- ciants dont Voltaire parle dans la Cunespondance.

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