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DE M. DE CRÉBILLON. 357

Quel langage faible et barbare! Boileau pouvait-il supporter une femme qui s'écrie (I, v) :

Puisque l'amour a fait le malheur de ma vie, Quel autre que l'amour doit venger Zénobie?

De telles pointes sont-elles tolérables ? Un homme de goilt approuvera-t-il que Rhadamiste dise^ qu'il est

Criminel sans penchant, vertueux sans dessein?

Cela forme-t-il un sens? On Toit bien que Rhadamiste veut dire qu'il est criminel malgré lui, qu'il aime la vertu sans la suivre ; mais il faut savoir exprimer sa pensée. Tant d'expressions louches, obscures, impropres, vicieuses, peuvent rebuter un lecteur instruit et difficile.

Rhadamiste, prétendu ambassadeur de Rome auprès de son père, veut enlever une inconnue que le jeune Arsame lui recom- mande, et il dit (III, IV ) :

D'ailleurs, pour l'enlever ne me suffit-il pas Que mon père cruel brûle pour ses appas ?

Quoi ! il enlève une femme, uniquement parce que le roi son père en est amoureux! de plus, comment ne voit-il pas qu'on la reprendra aisément de ses mains? Quel ambassadeur a jamais fait une telle fohe? Rhadamiste peut-il heurter ainsi les premiers principes de la raison, après avoir dit (II, i) : a d'un ambassadeur empruntons la prudence » ? Ce vers, tout comique qu'il est, n'est-il pas la condamnation de sa conduite? Quelle prudence, de violer le droit des gens pour s'exposer aux plus grands affronts !

Un grand défaut de conduite encore, c'est qu'à la fin de la pièce, Arsame, voyant son frère Rhadamiste en péril, et pouvant le sauver d'un mot, ne révèle point à Pharasmane que Rhada- miste est son fils. II n'a qu'à parler pour prévenir un parricide, nulle raison ne le retient; cependant il se tait. L'auteur le fait persister une scène entière dans un silence condamnable, uni- quement pour ménager à la fin une surprise, qui devient puérile parce qu'elle n'est nullement vraisemblable.

C'est là une partie des défauts que tous les connaisseurs re-

1. Acte II, scène i".

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