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Il prend (page 8) le parti de Suarez, de Vasquez, de Lessius, etc., etc. Notre frère n’est pas adroit.

Il prétend (page 15) que ceux qui condamnent les jésuites détestent le ciel : « Oui, le ciel, dit-il, qui a signalé par des miracles la sainteté de quelques jésuites. » Je voudrais bien, mon cher frère, que tu nous disses quels sont ces miracles. Jésus a nourri une fois cinq mille hommes avec cinq pains, etc., comme il est rapporté ; et frère La Valette[1] a ôté le pain à près de cinq mille personnes par sa banqueroute : sont-ce là les miracles dont tu veux parler ?

Frère Bouhours, dans la première édition de la Vie du bonhomme Ignace, écrit que ce grand homme, après s’être fait fesser au collège de Sainte-Barbe, alla se confesser à un habitué de paroisse. Le confesseur, émerveillé de la sainteté de ce personnage, s’écria : « O mon Dieu, que ne puis-je écrire la vie de ce saint ! » Ignace, qui entendit ces paroles, et qui était fort malade, craignit qu’en effet son confesseur ne trahît sa modestie après sa mort ; il pria le bon Dieu de faire mourir l’habitué le plus tôt que faire se pourrait, et le pauvre diable mourut d’apoplexie.

Le même frère Bouhours assure dans la Vie de frère François Xavier qu’un jour son crucifix étant tombé dans la mer un cancre vint le lui rapporter.

Le même Bouhours assure que frère Xavier était dans deux endroits à la fois : et comme cela n’appartient qu’à l’eucharistie, le trait m’a paru gaillard.

De quoi t’avises-tu, frère, de parler (page 57) de frère Malagrida, et de dire que la marquise de Tavora lui apparut plusieurs fois après son exécution ? Est-ce encore là un de tes miracles ?

Tu conviens (page 71) que plusieurs jésuites ont enseigné la doctrine du parricide, et, pour les disculper, tu prouves qu’ils ont pris cette doctrine dans saint Thomas d’Aquin, quoique grands ennemis de Thomas, et que plus de vingt jacobins ont précédé les jésuites dans cette charitable doctrine. Que veux-tu inférer de là ? que la Somme de Thomas est un fort mauvais livre, et qu’il faut chasser les jacobins comme les jésuites ? On pourra te répondre : Très-volontiers ; lis attentivement l’excellent discours de M. le procureur général de Rennes[2], tu verras à quoi sont bons la plupart des moines dans un État policé.

  1. Sur la banqueroute de La Valette, voyez tome XVI, pages 100 et suiv.
  2. Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, né le 6 mars 1701, mort le 12 juillet 1785. Parmi les lettres que lui adressa Voltaire, on remarque celle du 17 mai 1762.