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soutenir les miracles de M. Pâris, sachant bien que ces miracles n’ont pas été prédits, se joignent aux jésuites mêmes. On parle aux magistrats, aux évêques, à l’archevêque de Paris[1] ; et tout cela, parce que le Dictionnaire de l’Encyclopédie vaut mieux que le Dictionnaire de Trévoux. Le délateur Millet assure l’évêque de Mirepoix que l’abbé de Prades n’est que l’organe des auteurs de ce dictionnaire : c’est ainsi qu’une indigne jalousie d’auteurs détruit sans ressource la fortune d’un homme de qualité, et le couvre de flétrissures. L’évêque de Mirepoix fait dire à la Sorbonne qu’il faut absolument qu’elle condamne la thèse.

Depuis le 2 décembre 1751 jusqu’au 15, on s’assemble en Sorbonne. Les émissaires des jésuites, Lerouge en chancelant encore, Gaillande en homme furieux, demandent vengeance : de quoi ? d’une thèse que la Sorbonne doit avouer pour sienne. Ils demandent que ce corps se déshonore à jamais. Il faut que cette Sorbonne déclare qu’elle n’a pas entendu un seul mot de la thèse, laquelle elle a examinée pendant quatre jours, laquelle elle a fait soutenir, laquelle elle a approuvée, et qui est son propre ouvrage ; ou qu’elle avoue qu’elle-même en corps a soutenu un système complet contre la religion chrétienne. Il n’y a pas de milieu ; c’est dans ce cul-de-sac[2] que la cabale des jésuites et un théatin ont poussé la Sorbonne, qui s’en aperçoit bien aujourd’hui, et qui en gémit, mais trop tard.

Un docteur des plus vertueux et des plus éclairés, l’abbé Legros[3] chanoine de la Sainte-Chapelle, excellent théologien, alla pendant ce temps représenter à l’ancien évêque de Mirepoix l’énormité et le scandale de cette conduite ; qu’on allait couvrir la Sorbonne d’un opprobre éternel ; qu’on perdait un jeune homme innocent, que sa thèse était très-raisonnable, et qu’il se croyait, lui, obligé, en conscience et en honneur, de prendre le parti de l’abbé de Prades ; que c’était en effet secourir la Sorbonne, qui s’allait perdre, en se condamnant elle-même, L’évêque de Mirepoix lui défend d’aller en Sorbonne, et le menace, s’il y va, d’une lettre de cachet. Voilà sur quel ton il parle, et comment il use de son crédit. M. Legros eut pourtant le courage d’aller à ces assemblées tumultueuses ; il y parla avec sagesse, et fut secondé d’environ quarante docteurs qui savent le latin, qui avaient lu la

  1. Christophe de Beaumont ; voyez la note, tome XXI, page 11.
  2. Voltaire a souvent parlé de ce mot, qu’il voulait proscrire ; mais ce ne fut qu’en 1760 qu’il commença à le faire ; voyez la note, tome XVIII, page 302.
  3. Ch.-Fr. Legros, mort en 1790, auteur de l’Analyse des ouvrages de J.-J. Rousseau et de Court de Gébelin, 1785, in-8o, et de quelques autres écrits.