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DE LA SORBONNE.

leurs ressorts pour supprimer l’Encyclopédie, et pour ruiner par là les libraires qui en ont entrepris l’impression. Ils soulevèrent les puissances, en se servant de leur cri de guerre : À l’impiété ! Ce cri n’aurait fait qu’attirer contre eux celui du public, si on avait eu affaire à des supérieurs instruits ; mais on avait affaire à l’ancien évêque de Mirepoix[1] : on est obligé d’avouer ici, avec toute la France, combien il est triste et honteux que cet homme si borné ait succédé aux Fénelon et aux Bossuet. Il a la feuille des bénéfices : c’est un ministre ; le clergé de France est à ses ordres. Il l’a avili et bouleversé ; c’est lui qui est l’auteur de cette entreprise des billets de confession[2], qui a tant fait rire l’Europe ; lui seul a empêché le bien que le roi voulait faire au royaume en rendant l’ordre de Saint-Louis susceptible de bénéfices. Le roi ne pouvait faire un plus grand bien, ni l’évêque de Mirepoix un plus grand mal ; il est continuellement entouré de délateurs.

Un prêtre de cette espèce, nommé Millet, connu pour tel dans Paris, homme qui réunit[3] la duplicité et l’infamie de l’espionnage sous les apparences de la douceur et de la dévotion, fut l’organe dont on se servit pour persuader à l’ancien évêque de Mirepoix que l’Encyclopédie était un livre contre la religion chrétienne. Le fanatisme fut poussé au point qu’on obtint un arrêt du conseil pour supprimer l’ouvrage. Enfin, grâce aux soins des plus dignes ministres et des plus éclairés magistrats, la France ne fut point privée de l’ouvrage utile qui lui fait déjà tant d’honneur dans toute l’Europe ; il n’en coûta que quelques changements de peu de conséquence. Le livre continue à s’imprimer avec succès[4], malgré toutes les chicanes qu’on n’a cessé de lui faire. Les jésuites furent confondus, et n’en furent, comme on le croira aisément, que plus implacables. Il s’agissait de leur intérêt, et de ce qu’ils imaginaient être leur gloire, quoiqu’il n’y ait en effet que de la honte à être les auteurs du Dictionnaire de Trévoux.

Il faut savoir que, parmi les principaux associés qui travaillaient à l’Encyclopédie, il y en a très-peu qui soient théologiens[5] :

  1. Jean-François Boyer, né en 1675, mourut le 20 auguste 1755 ; c’est de lui qu’il est question tome XXI, page 40.
  2. Sur les billets de confession, voyez, tome XV, le chapitre xxxvi du Précis du Siècle de Louis XV ; tome XVI, pages 77 et suiv. ; et tome XVIII, page 230.
  3. Toutes les éditions portent : nourrit. J’ai adopté la correction proposée par feu Decroix. (B.)
  4. La publication, reprise en 1753, alla sans autre interruption jusqu’en 1757, date de la seconde suspension.
  5. Ils furent d’abord trois : Yvon, Mallet, de Prades. Morellet vint plus tard. (G. A.)