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AUISTE ET ACROTAL. îHi

faut-il pour cela le persécuter? Quel mal a-t-il fait? A-t-il cons- piré contre l'État? xV-t-il prêché en chaire le vol, la calomnie, l'homicide? Entre nous, dites-moi si jamais un philosophe a causé le moindre trouble dans la société?

ACROTAL.

Jamais, je l'avoue.

ARISTE.

Ne sont-ils pas pour la plupart des solitaires? Ne sont-ils pas pauvres, sans protection, sans appui? Et n'est-ce pas en partie pour ces raisons que vous les persécutez, parce que vous croyez pouvoir les opprimer facilement ?

ACROTAL,

Il est vrai qu'autrefois il n'y avait guère dans cette secte que des citoyens sans crédit, des Socrate, des Pomponaco, des Érasme, des Bayle, des Descartes ; mais à présent la philosophie est mon- tée sur les tribunaux et sur les trônes même ; on se pique par- tout de raison, excepté dans certains pays où nous y avons mis bon ordre. C'est là ce qui est vraiment funeste ; et c'est pourquoi nous tâchons d'exterminer au moins les philosophes qui n'ont ni fortune, ni puissance, ni honneurs dans ce monde, ne pouvant nous venger de ceux qui en ont.

ARISTE.

Vous venger! et de quoi, s'il vous plaît? Ces pauvres gens-là vous ont-ils jamais disputé vos emplois, vos prérogatives, vos trésors?

ACROTAL,

Non ; mais ils nous méprisent, puisqu'il faut tout dire ; ils se moquent quelquefois de nous, et nous ne pardonnons jamais.

ARISTE.

S'ils se moquent de vous, cela n'est pas bien : il ne faut se moquer de personne ; mais dites-moi, je vous prie : pourquoi n'a-t-on jamais raillé les lois et la magistrature dans aucun pays, tandis qu'on vous raille, vous autres, si impitoyablement à ce que vous dites ?

ACROTAL.

Vraiment c'est ce qui échauffe notre bile: car nous sommes bien au-dessus des lois.

ARISTE,

Et c'est justement ce qui fait que tant d'honnêtes gens vous ont tournés en ridicule. Vous vouliez que les lois fondées sur la raison universelle, et nommées par les Grecs les Filles du ciel, cé- dassent à je ne sais [quelles opinions que le caprice enfante, et

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