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un fripon, s’ensuit-il qu’il n’y ait pas un Être suprême, un créateur, un conservateur, un juge équitable, qui punit et qui récompense ? J’ai connu un jacobin, docteur de Sorbonne, qui était devenu athée parce que son prieur l’obligeait de soutenir dans son cloître la conception de la Vierge dans le péché, et qu’en Sorbonne il était obligé de soutenir le contraire[1]. Il disait froidement : « Ma religion est fausse : or, puisque ma religion, qui est sans contredit la meilleure de toutes, n’a que des caractères de fausseté, il n’y a donc point de religion, il n’y a donc point de Dieu ; j’ai donc fait une énorme sottise de me faire jacobin à l’âge de quinze ans. »

J’eus pitié de ce pauvre homme ; je lui dis : « Il est vrai qu’en vous faisant jacobin vous avez été un grand fou ; mais, mon ami, que Marie soit née maculée ou immaculée. Dieu en existe-t-il moins ? Dieu en est-il moins le père et le juge de tous les hommes ? n’ordonne-t-il pas également au premier colao[2] de la Chine, et au dernier des jacobins, d’être juste, sincère, modéré, et de faire à autrui ce que tout jacobin voudrait qu’on lui fît à lui-même ? Les dogmes changent, mon ami ; mais Dieu ne change pas. Le cordelier saint Bonaventure et le jacobin saint Thomas ne sont presque jamais du même avis : eh bien ! ne pensez ni comme Thomas ni comme Bonaventure. On a falsifié de certains livres, on en a supposé d’autres ; cela vous fait de la peine : consolez-vous ; on ne peut falsifier le grand livre de la nature, dans lequel il est écrit : « Adore un Dieu, et sois juste. » Je vis avec plaisir que mon sermon fit une grande impression sur mon jacobin.

Il faut, mes frères, épurer la religion[3] ; l’Europe entière le crie, et, pour l’épurer, ce n’est point par épurer la théologie qu’il faut commencer ; il faut l’abolir entièrement. Il est trop honteux d’avoir fait une science de cette grave folie qui n’a servi qu’à renverser des milliers de cervelles, et qui a bouleversé tous les États les uns après les autres. Elle seule fait les athées. Le grand nombre des petits théologiens, qui est assez sensé pour voir tout le ridicule de cette science chimérique, n’en sait pas assez pour lui substituer une saine philosophie. Il conclut, comme le jeune jacobin, que la Divinité est une chimère, parce que la théologie

  1. Les dominicains ne croyaient point à l’immaculée conception, dont les franciscains étaient les apôtres. La Sorbonne avait adopté l’opinion franciscaine. (G. A.)
  2. Sur ce mot, voyez tome XI, page 176.
  3. Voltaire revient sur cette idée dans la quatrième de ses Lettres à Son Altesse monseigneur le prince de ** (article Bolingbroke), et dans le vingt-quatrième dialogue de A B C.