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A M. ERATOU. 237

prisonnier, n'était-ce pas visiblement pour eu l'aire un ragoût? A quoi bon sans cela couper un roi en morceaux?

— Les Juifs ne mangeaient point de ragoût, dit Crokius.

— Je conviens, répliquai-je, que leurs cuisiniers n'étaient pas si bons que ceux de France, et je crois qu'il est impossible de faire bonne chère sans lard ; mais enfin ils avaient quelques ra- goûts. Il est diti que Hébecca prépara des chevreaux à Isaac, de la manière dont ce bonhomme aimait à les manger. »

Pfaff ne fut pas content de ma réponse ; il prétendit que pro- bablement Isaac aimait les chevreaux à la broche, et que Ré- becca les lui fit rôtir. Je lui soutins que ces chevreaux étaient en ragoût, et que c'était l'opinion de dom Calmet ; il me répondit que ce bénédictin ne savait pas seulement ce que c'était qu'une broche; que les bénédictins n'en connaissaient point, et que le sentiment de dom Calmet est erroné. La dispute s'échauffa : nous perdîmes longtemps de vue le principal objet de la question; mais on y revient toujours avec ceux qui ont l'esprit juste.

Pfaff était encore tout étonné des chevaux et des cavaliers que les Juifs mangeaient et enfin la dispute roula sur la supériorité que doit avoir la chair humaine sur toute autre chair.

{( L'homme, dit M. Crokius, est le plus parfait de tous les ani- maux ; par conséquent il doit être le meilleur à manger.

— Je ne conviens pas de cette conclusion, dit M. Pfaff; de graves docteurs prétendent qu'il n'y a nulle analogie entre la pensée, qui distingue l'homme, et une bonne pièce tremblante cuite à pro- pos ; je suis de plus très-bien fondé à croire que nous n'avons point la chair courte, et que nos fibres n'ont point la déhcatesse de celles des perdrix et des grianneaux.

— C'est de quoi je ne conviens pas, dit Crokius ; vous n'avez mangé ni de grianneaux, ni de petits garçons : par conséquent vous ne devez pas juger. »

Nous étions très-embarrassés sur cette question, lorsqu'il arriva un housard qui nous certifia qu'il avait mangé d'un Cosaque pendant le siège de Colberg-, et qu'il l'avait trouvé très-coriace. Pfaff triomphait ; mais Crokius soutint qu'on ne devait jamais conclure du particuher au général ; qu'il y avait Cosaque et Cosaque, et qu'on en trouverait peut-être de très-tendres.

��1. Genèse, chapitre xwii, verset 9.

2. Colberg fut, en 1758, assiégé par les Russes, qui finirent par lever le siège; mais ils assiégèrent de nouveau cette place en 17G1, et s'en emparèrent par famine le 16 décembre. (B.)

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