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EXAMEN DU TESTAMENT POLITIQUE

L’auteur voudrait que le prétendant se fût fait roi en Corse, au lieu de tenter inutilement d’être roi d’Angleterre ; ensuite il lui propose la vice-royauté de Majorque : est-ce bien le cardinal Albéroni qui fait ces propositions ?

Est-ce bien lui qui s’acharne contre la mémoire du cardinal de Fleury, et qui dit qu’on n’a entendu que les plaintes et les gémissements des peuples pendant son ministère ? Si c’est le cardinal Albéroni qui parle ainsi, ou il est bien prévenu, ou il ne connaissait pas la France comme il connaissait l’Espagne. Il s’attache à décrier en tout le cardinal de Fleury. Il l’abaisse au-dessous du médiocre. Mais quand on voyage de Saint-Dizier à Moyenvic, on dit : « C’est le cardinal de Fleury qui a donné toutes ces terres à la France[1] : qu’aurait fait de mieux alors un grand homme ? » Le cardinal Albéroni est devenu un censeur bien impitoyable depuis sa mort : son testament est une satire.

Il blâme le cardinal de Fleury d’avoir voulu la guerre de 1741, et on sait qu’il ne la voulait pas, et qu’il s’y opposa autant qu’il put.

Il blâme l’empereur Charles VI d’avoir fait sa pragmatique sanction. Sa fille ne sera pas de cet avis. Il veut changer la constitution de l’Allemagne : c’est un homme qui a perdu son bien au jeu, et qui, se plaisant encore à regarder jouer, dit tout haut les fautes qu’il croit apercevoir.

Est-ce donc le cardinal Albéroni qui juge ainsi les vivants et les morts ? On connaît dans l’Europe un maréchal de France qui s’est fait un nom célèbre par ses grandes vues, par son esprit d’ordre et de détail, par son génie et par son activité[2]. Le prétendu testateur le traite bien durement. Je ne crois pas qu’il soit permis à l’histoire de parler des vivants : elle doit imiter les jugements de l’Égypte, qui ne décidaient du mérite des citoyens que lorsqu’ils n’étaient plus. Les portraits des hommes publics sont toujours dans un faux jour pendant leur vie. Mais si quelqu’un voulait répondre aux reproches amers que fait le cardinal Albéroni à cet illustre Français, ne pourrait-il pas lui dire : « Cessez de reprocher à ce maréchal l’épuisement des trésors de la France dans la magnifique ambassade de Francfort, où Charles VII fut élu empereur. Cessez de représenter l’Allemagne en défiance de cette profusion prétendue. L’ambassadeur d’Espagne y faisait une aussi grande figure que celui de France. Le duc de Riperda avait paru avec plus d’éclat encore à Vienne ; et jamais on n’a vu les

  1. La Lorraine.
  2. Le maréchal de Belle-Isle. ((Note de Voltaire.)