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DE BOILEAU, ET DE POPE. 225

maux. Quelle est donc au fond cette idée platonicienne? un chaos, comme tous les autres systèmes ; mais on l'a orné de diamants. Quant aux autres ÉpUres de Pope qui pourraient être compa- rées à celles d'Horace et de Boileau, je demanderai si ces deux auteurs, dans leurs Satires, se sont jamais servis des armes dont Pope se sert? Les gentillesses dont il régale milord Harvey, l'un des plus aimables hommes d'Angleterre, sont un peu singulières; les Toici mot pour mot :

Que Ilarvey tremble! Qui cette chose de soie!

Harvey, ce fromage mou fait de lait d'ànesse !

Hélas ! il ne peut sentir ni satire ni raison.

Qui voudrait faire mourir un papillon sur la roue ?

Pourtant je veux frapper cette punaise volante à ailes dorées,

Cet enfant de la boue qui se peint et qui pue,

Dont le bourdonnement fatigue les beaux esprits et les belles,

Qui ne peut tàter ni de l'esprit ni de la beauté :

Ainsi l'épagneul bien élevé se plaît civilement

A mordiller le gibier qu'il n'ose entamer.

Son sourire éternel trahit son vide

Comme les petits ruisseaux se rident dans leurs cours,

Soit qu'il parle avec son impuissance fleurie.

Soit que cette marionnette barbouille les mots que le compère lui souffle,

Soit que, crapaud familier à l'oreille d'Eve,

Moitié écume, moitié venin, il se crache lui-même en compagnie.

En quolibets, en politique, en contes, en mensonges ;

Son esprit roule sur des ouï-dire, entre ceci et cela ;

Tantôt haut, tantôt bas, petit-maître ou petite-maîtresse ;

Et lui-même n'est qu'une vile antithèse,

Être amphibie qui, en jouant les deux rôles,

La tête frivole et le cœur gâté,

Fat à la toilette, flatteur chez le roi,

Tantôt trotte en lady, tantôt marche en milord.

Ainsi les rabbins ont peint le tentateur

Avec face de chérubin et queue de serpent :

Sa beauté vous choque, vous vous défiez de son esprit;

Son esprit rampe, et sa vanité lèche la poussière.

Il est vrai que Pope a la discrétion de ne pas nommer le lord qu'il désigne ; il l'appelle honnêtement Sporus, du nom d'un in- fâme prostitué à Néron * .

1. En 1764, Voltaire ajouta ce qui suit : « Vous observerez encore que la plu- part de ces invectives tombent sur la figure de milord HaiTey, et que Pope lui reproche jusqu'à ses grâces. Quand on songe que c'était un petit homme contre- fait, bossu par devant et par derrière, qui parlait ainsi, on voit à quel point l'amour-propre et la colère sont aveugles. » (B.)

24. - MÉr.AXGES. III. 15

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