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248 APPEL A TOUTES LES NATIONS

vainqueur, quand ce grand homme commença à baisser. Il ne fut plus permis alors de négliger la langue et l'art des vers dans les tragédies, et tout ce qui ne fut pas écrit avec l'élégance de Racine fut méprisé.

Il est vrai qu'on nous reprocha, avec raison, que notre théâtre était une école continuelle d'une galanterie et d'une co- quetterie qui n'a rien de tragique. On a justement condamné Corneille pour avoir fait parler d'amour Thésée et Dircé au mi- lieu de la peste ^; pour avoir mis des petites coquetteries sans passion dans la bouche de Cléopâtre ; et enfin, pour avoir presque toujours traité l'amour bourgeois dans tous ses ouvrages sans jamais en faire une passion forte, excepté dans les fureurs de Camille-, et dans les scènes attendrissantes du Cid qu'il avait prises dans Guillem de Castro, et qu'il avait embellies. On ne re- procha pas à l'élégant Racine l'amour insipide et les expressions bourgeoises ; mais on s'aperçut bientôt que toutes ses pièces, et celles des auteurs suivants, contenaient une déclaration, une rup- ture, un raccommodement, une jalousie. On a prétendu que cette uniformité de petites intrigues aurait trop avili les pièces de cet aimable poète s'il n'avait pas su couvrir cette faiblesse de tous les charmes de la poésie, des grâces de sa diction, de la douceur de son éloquence sage, et de toutes les ressources de son art.

Dans les beautés frappantes de notre théâtre, il y avait un autre défaut caché, dont on ne s'était pas aperçu parce que le public ne pouvait pas avoir par lui-même des idées plus fortes que celles de ces grands maîtres. Ce défaut ne fut relevé que par Saint-Évremond : il dit que « nos pièces ne font pas une impres- sion assez forte ; que ce qui doit former la pitié fait tout au plus "de la tendresse ; que l'émotion tient lieu de saisissement, l'éton- nemeut de l'horreur; qu'il manque à nos sentiments quelque chose d'assez profond ».

Il faut avouer que Saint-Évremond a mis le doigt dans la plaie secrète du théâtre français; on dira tant qu'on voudra que Saint-Évremond est l'auteur delà pitoyable comédie de SirPolitik, et de celle des Opéra; que ses petits vers de société sont ce que nous avons de plus plat en ce genre ; que c'était un petit faiseur de phrases ; mais on peut être totalement dépourvu de génie, et avoir beaucoup d'esprit et de goût. Certainement son goût était

��L Dans OEdipe. 2. Dans Horace.

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