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DE L'EUROPE. 247

ce don Raymond, fils d'un roi de Navarre, est déguisé en paysan; l'infante de Léon, sa maîtresse, cstdéguisée en bûcheron; un prince de Léon, en pèlerin; une partie de la scène est chez un aubergiste.

Pour les Français, quels étaient leurs livres et leurs spectacles favoris? Le chapitre des torche-culs de Gargantua, l'oracle de la dive bouteille, les pièces de Chrétien et de Hardy.

Soixante-douze ans s'écoulèrent depuis Jodelle, qui, sous Henri II, avait très-vainement tenté de faire revivre l'art des Grecs sans que la France produisît rien de supportable. Enfin, Mairet, gentilhomme du duc de Montmorency, après avoir lutté longtemps contre le mauvais goût, donna sa tragédie de Sopho- nisbe, qui ne ressemble point à celle de rarchevêque Trissino. C'est une petite singularité que la renaissance du théâtre, et l'observation des règles, aient commencé en Italie et en France par une Sophonisbc. Cette pièce de Mairet est la première que nous ayons, dans laquelle les trois unités ne soient point violées; elle servit de modèle à la plupart des tragédies qu'on donna depuis. Elle fut jouée en 1629, quelque temps avant que Corneille travaillât pour la scène tragique; et elle fut si goûtée, malgré ses défauts, que lorsque Corneille lui-même voulut ensuite donner une Sophonisbe, elle tomba, et celle de Mairet se soutint encore longtemps. Mairet ouvrit donc la véritable carrière où Rotrou entra, et celui-ci alla plus loin que son maître. On joue encore sa tragédie de Venceslas, pièce très-défectueuse à la vérité, mais dont la première scène et presque tout le quatrième acte sont des chefs-d'œuvre.

Corneille parut ensuite ; sa 3Iédée, qui n'est qu'une déclama- tion, eut un peu de succès. Mais le Cid fut la première pièce qui franchit les bornes de la France, et qui obtint tous les suffrages, excepté ceux du cardinal de Richelieu et de Scudéri. On sait assez jusqu'à quel point ce grand homme s'éleva dans les belles scènes des Horaces, et dans son chef-d'œuvre de Cinna, dans les personnages de CornélieS de Sévère-, dans le cinquième acte de Rodogime. Si Pertharite, Théodore, Œdipe, Bérénice, Suréna, Pul- chérie, Agésilas, Attila, Don Sanche, la Toison d'or, ont été indignes de lui et de tous les théâtres, ses belles pièces, et les morceaux admirables répandus dans les médiocres, le feront toujours re- garder avec justice comme le père de la tragédie.

Il est inutile de parler ici de celui qui fut son émule et son

��1. De Pompée.

2. De Polyeucte.

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