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216 APPEL A TOUTES LES NATIONS

Trissino S ressuscitèrent, autant qu'ils le purent, le théâtre des Grecs', La ville de Vicence, en 151/i, fit des dépenses immenses pour la représentation de la première tragédie qu'on eût vue en Europe, depuis la décadence de l'empire. Elle fut jouée dans l'hôtel de ville, et on y accourut des extrémités de l'Italie ; la pièce est de l'archevêque Trissino ; elle est noble, elle est régu- lière, et purement écrite ; il y a des chœurs, elle respire en tout le goût de l'antiquité ; on ne peut lui reprocher que les décla- mations, les défauts d'intrigue et la langueur : c'étaient les dé- fauts des Grecs; il les imita trop dans leurs fautes, mais il atteignit à quelques-unes de leurs beautés. Deux ans après, le pape Léon X fit représenter à Florence la Bosamonda du Ruccelaï, avec une magnificence très-supérieure à celle de Vicence. L'Italie fut partagée entre le Ruccelaï et le Trissino.

Longtemps auparavant la comédie sortait du tombeau par le génie du cardinal Bibiena, qui donna la Calandra en l/i82 : après lui on eut les comédies de l'immortel Arioste, la fameuse x1/«Hf/ra^ore de Machiavel ; enfin le goût de la pastorale prévalut. VAminte du Tasse eut le succès qu'elle méritait, et le Pastor fulo un succès encore plus grand : toute l'Europe savait et sait encore par cœur cent morceaux du Pastor fulo; ils passeront à la dernière postérité : il n'y a de véritablement beau que ce que toutes les nations re- connaissent pour tel. Malheur à un peuple, comme on Ta déjà dit ^ qui seul est content de sa musique, de ses peintures, de son éloquence, de sa poésie.

Tandis que le Pastor fulo enchantait l'Europe, qu'on en récitait partout des scènes entières, qu'on le traduisait dans toutes les langues, en quel état étaient ailleurs les belles-lettres et les théâtres? Ils étaient dans l'état où nous étions tous, dans la bar- barie. Les Espagnols avaient encore leurs autos sacramentales , c'est-à-dire leurs actes sacramentaux. Lope de Vega, qui était digne de corriger son siècle, fut subjugué par son siècle. Il dit lui-même qu'il est obligé, pour plaire, d'enfermer sous la clef les bons auteurs anciens, de peur qu'ils ne lui reprochent ses sot- tises. Dans l'une de ses meilleures pièces, intitulée Don Raymond,

i. Trissino n'était, pas archevêque ; voyiez, tonuï III du Tliéâlre, la note sur la Dissertation en tôte de la traj;édie de Séniiramis.

2. En 1704, Voltaire ajouta : « Et il ne se trouva alors aucun petit pédant insolent qui osàl croire qu'il pouvait iléti'ir l'art de Sopliorlo, que les papes fai- saient revivre dans Rome. »

Le petit pédant doit être l'avocat Dains ; voyez, ci-aj)rès, la Coni'ersation de l'intendant des menus, etc. (B.)

3. Voyez tome XII, page 2i7.

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