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DE L'EUROPE. 203

Quand il peut faire son quietus^

Avec une simple aiguille à tôte! Qui voudrait porter ces fardeaux.

Sangloter, suer sous une fatigante vie ?

Mais cette crainte de quelque chose après la mort,

Ce pays ignoré, des bornes duquel

Nul- vo\'ageur ne revient, embarrasse la volonté,

Et nous fait supporter les maux que nous avons

Plutôt que de courir vers d'autres que nous ne connaissons pas :

Ainsi la conscience fait des poltrons de nous tous;

Ainsi la couleur naturelle de la résolution

Est ternie, par les pâles teintes de la pensée ;

Et les entreprises les plus importantes,

Par ce respect, tournent leur courant de travers,

Et perdent leur nom d'action

A travers les obscurités de cette traduction scrupuleuse, qui ne peut rendre le mot propre anglais par le mot propre français, on découvre pourtant très-aisément le génie de la langue an- glaise ; son naturel, qui ne craint pas les idées les plus basses, ni les plus gigantesques ; son énergie, que d'autres nations croiraient dureté ; ses hardiesses, que d.es esprits peu accoutumés aux tours étrangers prendraient pour du galimatias. Mais sous ces voiles on découvrira de la vérité, de la profondeur, et je ne sais quoi qui attache, et (jui remue t)eaucoup plus que ne ferait l'élégance ; aussi il n'y a presque personne en Angleterre qui ne sache ce monologue par cœur. C'est un diamant brut qui a des taches : si on le polissait, il perdrait de son poids;

Il n'y a peut-être pas un plus grand exemple de la diver- sité des goûts des nations. Qu'on vienne après cela nous parler des règles d'Aristote, et des trois unités, et des bienséances, et de la nécessité de ne laisser jamais la scène vide, et de ne faire ni sortir, ni entrer aucun personnage sans une raison sensible ; de lier une intrigue avec art, de la dénouer naturellement, de s'ex- primer en termes nobles et simples, de faire parler les princes avec la décence qu'ils ont toujours, ou qu'ils voudraient avoir; de ne jamais s'écarter des règles de la langue ! Il est clair qu'on peut enchanter toute une nation sans se donner tant de peines.

Si Shakespeare l'emporte par ces raisons sur Corneille, nous avouerons que Racine est bien peu de chose en comparaison du tendre et élégant Otwai. Pour s'en convaincre, il ne faut que jeter les yeux sur ce petit précis de la tragédie intitulée l'Orpheline.

I. Ce mot latin, qui signifie tranquille, est dans l'original. {Note de Voltaire.)

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