Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/209

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE L'EUROPE. 199

poche d'un des chambellans, ses conducteurs, la lettre du roi Claudius à son ami le roi d'Angleterre, scellée du grand sceau; il y trouve une instante prière de le dépêcher, et de le faire partir pour l'autre monde à son arrivée. Que fait-il? il avait heureuse- ment le grand sceau de son père dans sa bourse, il jette la lettre dans la mer, et en écrit une autre dans laquelle il signe Claudivs, et prie le roi d'Angleterre de faire pendre sur-le-champ les por- teurs de la dépêche; puis il replie le tout fort proprement, et y applique le sceau du royaume.

Cela fait, il trouve un prétexte de revenir à la cour. La pre- mière chose qu'il y voit, c'est une couple de fossoyeurs qui creu- sent une fosse pour enterrer M" Ophélie : ces deux manœuvres sont des réjouis assez plaisants; ils agitent la question si Ophélie doit être enterrée en terre sainte après s'être noyée, et ils con- cluent qu'elle doit être traitée en bonne chrétienne parce qu'elle est fille de qualité. Ensuite ils prétendent que les manœuvres sont les plus anciens gentilshommes de la terre, parce qu'ils sont du métier d'Adam : « Mais Adam était-il gentilhomme ? dit l'un des fossoyeurs.— Oui, répond l'autre, car il est le premier qui ait porté les armes. — Lui, des armes ! dit le premier. — Sans doute, dit le second; peut-on remuer la terre sans avoir des pioches et des boyaux? Il avait donc des armes, il était donc gen- tilhomme. »

Au miheu de tous ces beaux discours, et des chansons ga- lantes que ces messieurs chantent dans le cimetière de la paroisse du palais, arrive le prince Hamlet avec un de ses amis, et tous ensemble se mettent à considérer les têtes de morts qu'on trouve en creusant. Hamlet croit reconnaître le crâne d'un homme d'État, capable de tromper Dieu, puis celui d'un courtisan, d'une dame de la cour, d'un fripon d'homme de loi, et il n'épargne pas les railleries aux défunts possesseurs de ces têtes. Enfin on trouve l'étui qui renfermait la cervelle du fou du roi, et on conclut qu'il n'y a pas grande différence entre la cervelle des Alexandre, des César, et celle de ce fou; enfin, en raisonnant et en chantant, la fosse est faite. Les prêtres arrivent avec de l'eau bénite. On ap- porte le corps d'Ophélie. Le roi et la reine suivent la bière ; Laerte, le frère d'Ophélie, accompagne sa sœur avec un long crêpe; et quand on a mis le corps en terre, Laerte, outré de dou- leur, se jette dans la fosse. Hamlet, qui se souvient d'avoir aimé Ophélie, s'y jette aussi. Laerte, indigné de voir avec lui dans la même fosse celui qui a tué le chambellan Polonius, son père, en le prenant pour un rat, lui saute à la face ; ils se battent à coups

�� �