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À M. LE LIEUTENANT CRIMINEL


terroger sans délai tous les témoins, et de voir avec un œil impartial si ce qu’ils vous diront sera conforme à tout ce qu’ils m’ont dit ?

Voici, monsieur, le rapport unanime qu’ils m’ont fait. Le sieur Collet, jeune homme du bourg de Sacconney, frontière de France, où nous demeurons, travaillant en horlogerie, va quelquefois dans le voisinage chez la veuve Burdet, bourgeoise de Magny, chez laquelle le curé de Moëns fréquente.

Le 26 de décembre, ce curé va rendre visite à la dame Burdet, à neuf heures du soir, et reste avec elle jusqu’à onze.

Le 27 de décembre, Collet va chez ladite dame ; il y trouve encore le curé, qui lui lance des regards de colère, et lui témoigne la plus grande impatience de le voir sortir ; il sort, et les laisse tête à tête.

Le 28, la dame Burdet invite à souper chez elle le sieur Guyot, contrôleur du bureau de Sacconney ; il y va. Il rencontre en chemin mon fils, et Collet son ami, qui étaient à la chasse vers Ferney ; il leur propose d’être de la partie ; ils vont ensemble à Magny chez cette dame.

Le curé Ancian avait mis un espion, nommé Duby, à la porte de la maison. Duby court l’avertir, à neuf heures trois quarts, que les conviés sont à table, et qu’ils parlent de lui. Le curé donnait à souper à trois curés ses voisins, l’un de Ferney, l’autre de Matignin, et le troisième de Prevezin. Le sieur Ancian les quitte sur-le-champ sans dire mot, prend avec lui plusieurs paysans, va jusque dans un cabaret où le nommé Brochu et autres l’attendaient, les arme lui-même de ces bâtons et massues avec lesquels on assomme des bœufs ; il place deux de ses complices à la porte de la maison de la veuve Burdet, et entre, avec quatre ou cinq autres, dans la cuisine où les conviés achevaient de manger. « C’est donc ainsi, madame, lui dit-il, que vous vous plaisez à déchirer ma réputation ! » Alors, trouvant sous sa main un chien de chasse de mon fils, il l’assomma d’un coup de bâton. Mon fils, qui s’était retiré, par déférence pour le caractère de ce prêtre, dans la chambre voisine, accourt, demande raison de cette violence ; le curé lui répond par un soufflet : les gens apostés par lui tombent en ce moment par derrière sur mon fils et sur le sieur Collet, leur déchargent des coups de bâton sur la tête, et les étendent aux pieds du curé.

Le sieur Guyot, qui était dans la chambre voisine, en sort au bruit et aux cris de la veuve Burdet ; il voit ses deux amis tout sanglants sur le carreau, et tire son couteau de chasse : deux com-