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U8 LETTRE CIVILE

outrage si infâme et si grossier? Pour moi, monsieur, je vous pardonne, et de si bon cœur que je vous promets de ne vous jamais lire.

XIV. Vous vous trompez, mon Turc ; la religion dominante dans l'Inde est la vôtre. Est-il possible que vous soyez si mal in- struit de vos affaires ? Il y a, dites-vous, mille idolâtres pour un musulman. Mais, mon cher Turc, vous savez qu'en Grèce il y a aussi mille pauvres gens de la religion grecque pour un brave osmanli, pour un Turc. On appelle la religion dominante celle qui domine. J'ai dans mes terres plus de domestiques huguenots que de catholiques; cependant ma religion est la dominante. Le cal- vinisme domine en Hollande, quoiqu'il y ait plus de catholiques que de protestants. Mais ce n'est pas tout; vous n'avez jamais lu le livre de M. Niecamp ^ sur la presqu'île de l'Inde. Je vous avertis que c'est la seule bonne relation qu'on ait de ce pays. Mais vous ne savez peut-être pas l'allemand : n'importe, lisez ce livre ; vous y verrez que les musulmans ont converti dans la presqu'île des milliers d'idolâtres ; que partout les musulmans sont eu crédit dans la presqu'île ; mais enfin apprenez que la religion du Grand Mogol est dominante dans le Mogol.

XV. Que vous êtes ignorant, mon cher Turc ! Apprenez que les bramlns, ou bramines, ou bramènes d'aujourd'hui, sont les successeurs des brachmanes ; qu'ils tiennent d'eux la métem- psycose et la belle coutume de faire brûler les veuves dévotes-; qu'ils se disent, ainsi que les anciens gymnosophistes, disciples du roi Brachman. C'était, comme tout le monde sait, un grand philosophe qui vivait il y a cinq ou six mille ans. Il faut que vous n'ayez jamais été à l'université de Jaganat^ puisque vous ignorez ces choses, que les moindres écoliers de cette savante université vous auraient dites. Ah ! je vois bien que vous n'êtes qu'un Turc de Paris. Je vous reconnais, masque.

XVI. Non, mon ami, vous n'avez jamais été dans l'Inde; non, vous ne vivez point avec les fidèles musuhiians, comme vous vous en vantez. Quoi! vous soutenez que la presqu'île deçà le Gange n'appartient pas de droit au Grand Mogol, après les con- quêtes d'Aurengzeb ? Vous ignorez qu'il prétend un tribut de tous

1. Ifisloire de la mission danoise dans les Indes orientales, traduite de l'alle- mand, de Jean-Lucas Aiecamp, 17i5, trois parties in-S".

2. Celle coutume a été abolie, par ordonnance du 4 décembre I8"29, dans la partie de l'Inde soumise à la domination anglaise. (B.)

3. Jaganat ou Jagrenat, sur le golfe de Bengale, est célèbre par sa pagode, où réside le grand prêtn; des brames.

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