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146 LETTRE CIVILE

censeur, je lui dis : « Vous êtes plus savant que moi, mais soyez un peu honnête, et ne me traitez pas avec tant de cruauté, parce que j'ai dit qu'un poëtc savait lire et écrire. »

Avez-vous oublié que ce poëte était astronome, et qu'il réforma le calendrier des Arabes ? Que ne dites-vous que César, qui en fit autant chez les Romains, ne savait ni lire ni écrire ?

Mahomet aurait-il, je vous prie, demandé une plume et de l'encre dans son agonie, s'il n'avait été accoutumé à s'en servir? Omar l'en empêcha, de peur qu'il ne fît un testament, ou qu'il n'écrivît des sottises. Mais, monsieur, quand vous avez pris la plume pour écrire contre moi tant d'injures, si quelqu'un vous avait ôté votre plume dans vos accès, aurait-on droit de dire, comme on le dit pourtant à la lecture de votre ouvrage, que vous ne savez point écrire ?

Vous prétendez que le prophète devait demander un style de fer, et non pas une plume : je conçois, monsieur, qu'un style de fer est de votre goût ; mais, en conscience, on écrivait alors sur du parchemin.

Au reste, je rends toute la justice que je dois, soit à votre style, soit à votre plume.

X. Maître, vous me dénoncez à l'empereur de Maroc, au Grand Turc, et au Grand Mogol, comme un perturbateur du repos public, qui ose avancer que l'intention de Mahomet était qu'Ali, mari de sa chère fille Fatime, fût en possession du califat. Vous ne voulez point qu'on songe à établir son gendre et son cousin germain. Pourvu que vous ne me défériez pas à l'Inquisition, je me tiendrai très-heureux.

XI. M'y voilà déféré, maître; j'ai dit qu'on reconnut Mahomet pour un grand homme ; rien n'est plus impie, dites-vous. Je vous répondrai que ce n'est pas ma faute si ce petit homme a changé la face d'une partie du monde, s'il a gagné des batailles contre des armées dix fois plus nombreuses que les siennes, s'il a fait trembler l'empire romain, s'il a donné les premiers coups à ce colosse que ses successeurs ont écrasé, et s'il a été législateur de l'Asie, de l'Afrique, et d'une partie de l'Europe : je vous accorde qu'il est damné ; mais César et Alexandre le sont aussi ; Cicéron ne l'est-il pas ? Et ne pourriez-vous point l'être, tout éloquent que vous êtes, pour vous être mis si fort en colère ?

XII. Cette colère pourtant est en quelques endroits bien excusable-, irascimini et nolite pcccare^ Vous condamnez comme

1. Psaume w, verset 5 ; et ÈpHre aux Éphésiens, chap. iv, verset 2C.

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